Voilà. Elle est arrivée. La fameuse lettre que tout auteur redoute:
Madame Gagnon,
Après avoir vérifié l’état de nos inventaires et en regard des ventes des dernières années, nous avons décidé de rétrocéder les droits sur l’ouvrage Embarquement immédiat.
Nous allons donc cesser la commercialisation de cet ouvrage et détruire les stocks disponibles de notre entrepôt. Cependant, avant de procéder et comme le contrat d’édition que nous avons signé avec vous le prévoit, nous vous offrons la possibilité d’acheter un certain nombre d’exemplaires de cet ouvrage…
J’avoue que ce n’est pas une grosse surprise. Déjà, en 2007, la représentante de Stanké à qui j’avais parlé m’avait prévenue que je recevrais une telle lettre dans les mois qui suivraient. Mon étonnement vient donc plutôt du fait qu’elle me soit parvenue seulement deux ans plus tard.
Embarquement immédiat présentait les différents programmes, stages et possibilités d’emplois destinés aux 18-35 ans (et parfois plus) qui rêvent de voir du pays mais ne disposent pas d’un compte bancaire bien garni. Si la première partie, dans laquelle vingt jeunes voyageurs nous présentent leur parcours, reste intéressante (bien que la plupart d’entre eux ait épaissi leurs c.v. depuis!), la seconde me semblait déjà périmée il y a deux ans. Il faut dire que les programmes évoluent ou disparaissent au fil du temps. De nouveaux font leur apparition. Bref, le livre ayant été publié en 2004, il n’était plus très à jour.
Cela dit, ça fait tout de même un petit pincement au cœur. J’en achèterai certainement une centaine de copies. C’est tout de même mon premier livre! J’avais eu un plaisir fou à rencontrer les vingt protagonistes (certains sont devenus des amis) et à le rédiger. J’espérais tellement écrire un second tome pour raconter d’autres histoires de mordus de voyage! Je ne me lasse pas d’entendre leurs récits…
Mais comme je le déplore souvent, nous n’avons pas cette «culture du voyage» au Québec. Le tirage avait été surévalué. Dommage. Car prouver qu’il est possible pour tous d’aller au bout de leur rêve de parcourir la planète est l’une des causes qui me tient le plus à cœur!
Pour ceux que le sujet intéresse, Le Nouvel Observateur a publié en 2008 un texte bouleversant sur le sort réservé aux livres une fois retirés du marché, en France. Un extrait:
Vous commandez une pizza. Vous la sortez du carton, jetez celui-ci. Vous ignorez que vous venez de mettre à la poubelle l’autobiographie déchirante, dans la première de ses réincarnations. Le papetier qui a acheté les cubes de livres pilonnés les a fondus dans ses bains chimiques pour en tirer des cartons à chaussures, des cahiers, des emballages, du papier journal…
Et ce passage, qui me rassure tout en me brisant le cœur:
Mais le pilon ne constitue pas seulement la sanction d’une mévente. L’éclatante réussite d’un auteur produit autant de pilonnage que l’échec. Cela fait partie d’une stratégie délibérée de surproduction. Il n’est pas rare qu’un éditeur prenne dès le départ le parti de faire imprimer des milliers de livres pour les pilonner.
Plus loin, ces données m’ont aussi fait sursauter (on est loin des chiffres du Québec!):
L’entassement de 100.000 livres sert à en faire acheter 50.000. Les 50.000 autres seront broyés. Car le pilon coûte moins cher que le stockage. Il rapporte, même: 100 euros la tonne de papier.
Soudain, le livre numérique m’apparaît beaucoup plus séduisant…
P.S.: Avis à ceux qui veulent un exemplaire d’Embarquement immédiat (même si les infos ne sont plus très à jour! :-P): je suis prête à vous en vendre une copie à 10$ incluant les frais de transport (au Québec)! Faites-moi signe par courriel (mjtornado@gmail.com).
12 Commentaires
Un de perdu, dix de retrouvés! 😉
Frissons dans le dos…
ça mérite un party pillonage! Enfin, c’est le lot de tous les auteurs, mais je trouve que tu as beaucoup de courage de nous en faire part sans fausse pudeur!
Ton “Mama cool” devrait durer plus longtemps!
“Nous n’avons pas cette «culture du voyage» au Québec”
Peux-tu détailler?
@Judith Ritchie: Mouais…
@Nathaly D. : Mais pas la fin du monde non plus dans le cas d’un livre qui avait clairement «une date d’expiration»!
@Sandra Doyon: Un party pillonage? Avec une cérémonie pour le défunt pis toutte??? lol
Ce n’est pas du courage, c’est simplement la réalité. L’éditeur n’a peut-être pas écoulé toutes les copies, Embarquement immédiat s’est malgré tout vendu pas mal plus qu’une bonne partie des bouquins publiés au Québec! C’est l’ironie de l’édition ici: on publie, on fait peu de promo, on retire les livres très vite des rayons… J’ai eu de la chance qu’il dorme si longtemps dans l’entrepôt. Certains sont pillonnés bien avant… Je me rappelle de François Avard à Tout le Monde en parle qui racontait avoir reçu la même lettre. Rares sont ceux qui y échappe…
Pour ce qui est de Mama Cool, l’approche est complètement différente. Le livre est vendu au-delà des librairies (dans les Jean Coutu, Costco, Loblaws…). J’ai un appui fantastique côté promo. Pour moi, ça fait une grosse différence. Quant à «durer» ou non, seul l’avenir le dira… 😉
@Hispong Elbayne: Oh boy! J’ai tellement souvent déblatéré sur le sujet que j’aurais l’impression de radoter (et d’ennuyer les lecteurs de ce blogue qui se sont tapés mes multiples montées de lait/réflexions sur le sujet! lol)…
En résumé: d’abord, il y a la géographie. Ici, le territoire est immense. En Europe, il est si facile de partir à la découverte d’une autre culture, sac au dos! Tout est accessible et les différences culturelles sont bien marquées même si la distance à parcourir est moindre.
Les étudiants européens prennent souvent des «GAP years», soit une année pour voyager après leurs études. C’est valorisé. Ici? Pour plusieurs, voyager est un luxe. Pas une nécessité. On préfère investir dans du «solide» (des meubles, un écran géant…). La culture? Les souvenirs? Pas assez concret pour plusieurs. Je dirais même qu’un kid qui part à la découverte du monde se fait parfois regarder «de travers» par ses parents et ses proches, comme s’il fuyait sa vie, comme s’il bousillait ses chances de trouver un «bon boulot»… Vraiment une autre manière de voir les choses!
On publie aussi beaucoup de récits de voyage et de guides en tous genres à l’étranger (je pense surtout à l’Angleterre et la France). Ici? Très peu. Plus de gens, donc plus de lecteurs potentiels? Peut-être. Mais c’est pour moi un autre signe clair de l’intérêt des Européens (et des Australiens, notamment) pour tout ce qui touche la «culture du voyage».
J’ai dû être très persévérante pour parvenir à trouver un éditeur pour Cartes postales d’Asie (mon 2e livre). Partout, on me disait qu’on ne publiait plus de récits de voyage (à part de gens connus) «parce que ça ne vend pas». Je me suis acharnée parce que moi, c’est le genre de livre que j’aurais voulu lire. J’avais besoin de savoir que «ça se pouvait» pour une Québécoise de partir comme ça vivre des aventures seule à l’autre bout de la planète. Je trouvais qu’on manquait de modèles (pas que je me vois comme un modèle, remarque! lol), d’exemples de gens d’ici, avec nos références culturelles, notre filtre à nous pour analyser les contrées découvertes. Je me disais que je ne devais pas être la seule!
Bref (même si ce n’est pas très bref tout ça! lol), les voyages, ça n’intéresse pas tant que ça le Québécois moyen. Une semaine par an dans un tout-inclus suffit encore à plusieurs…
Cela dit, j’ai l’impression que ça commence à changer. Heureusement.
C’est le cas de le dire… T’es en train de tourner la page sur un projet.
C’est hot pareil, tu as réussi. Le projet a débuté un jour, il a été accompli plus tard et aujourd’hui, la boucle est bouclée.
Moi je te félicite pour avoir réussi à juste en vendre tout court. C’est quelque chose que peu de personnes vont réussir à faire -=)
@Pierre-Luc: Merci! 🙂 Sérieusement, je ne suis pas amère, je n’ai pas «honte» ou quoi que ce soit. Je ne me définis pas par ce que je fais ou ne fais pas (du moins, j’essaie!;-). Oui, j’ai un peu le «syndrome de la première de classe» et j’aime sortir du lot, mais je suis super fière de mon premier livre, autant que du deuxième ou du troisième.
C’est la game. Je connaissais les règles du jeu dès le début. Si c’était un roman, ce serait autre chose. Mais c’est un guide, et un guide périmé de surcroît!
Ce qui me fait capoter, c’est que ce n’est peut-être pas le seul de mes livres qui ira au pilon… C’est penser à tous ces bouquins qui sont anéantis chaque année… C’est l’âme de toutes histoires perdues dans les limbes…
Pour te consoler un peu, c’est après avoir lu Embarquement immédiat que j’ai emballé tous mes trucs pour les placer dans un entreprôt et quitter pour l’Ouest canadien… pour ne revenir qu’un an et demi plus tard… d’Europe! 🙂
C’est un excellent livre qui à mes yeux n’est pas périmé du tout ! Même si certaines références ne sont plus à jour, il est toujours intéressant de découvrir le parcours de voyageurs : leurs motivations intérieures, leurs peurs, la réaction des autres, leur choc culturel.. Ce livre est divertissant, drôle parfois, mais surtout inspirant. On y fait de si belles rencontres ! A acheter !
Quel hasard, je lisais justement un article sur le pilon sur le site de la Librairie Monet
http://www.librairiemonet.com/blogue/?p=1324
[…] en bibliothèque et possiblement dans les magasins de livres usagés parce qu’il n’est plus distribué et que Marie-Julie Gagnon n’a plus de copies à […]