Je ne suis jamais complètement revenue d’Asie. Partir une quinzaine de mois m’a permis de prendre du recul par rapport à ma propre culture. Plus de six ans plus tard, je sens toujours une certaine distance. Un décalage qui n’est jamais parvenu à s’estomper (ou que je n’ai pas voulu voir s’estomper). Vivre ailleurs m’a amenée à regarder mon Québec sous un autre angle. À en constater les aspérités. À le trouver trop poli, parfois. À comprendre que ce qui forge notre identité n’est pas seulement d’où l’on vient, mais aussi où l’on va.
Je ne suis pas nationaliste. Je ne suis pas fédéraliste. Je ne suis pas d’ici. Je suis d’ailleurs. Et de nulle part. (Oui, je sais, j’ai écrit la même chose à la fin de Cartes postales d’Asie). Coincée entre deux fuseaux. Pas complètement ajustée à l’heure de l’est. Ni à celle de ce «bout du monde» éthéré que je m’amuse à conquérir en m’inventant des petits jeux.
C’est un peu triste de se sentir ainsi en perpétuel décalage. Surtout par rapport aux gens (remarquez que je me sentais déjà souvent ainsi avant de partir pour plusieurs mois!). Rarement tout à fait sur la même longueur d’ondes. Une fréquence en avant, une fréquence en arrière. En même temps, j’ai l’impression que cette condition d’éternelle exilée est aussi une grande richesse. Je ne regarde plus le monde de la même manière et c’est tant mieux. De la marge, j’observe les lettres s’aligner avec un certain détachement. Je n’appartiens à aucune histoire et c’est très bien ainsi. La mienne ressemble davantage à une page Web avec de nombreux hyperliens. Un clic et me voilà ailleurs. Un autre clic et je reviens, heureuse de constater tout ce qui m’a manqué.
C’est dans le monde des mots que je me sens le plus chez moi.
12 Commentaires
J’aime bien cette comparaison avec une page web pleine de liens…
😉
Je ne suis jamais partie en Asie plus de quelques semaines d’affilée. Pas de séjour au long cours, d’immersion durable, comme toi. Simplement des allers-retours. Des parenthèses d’ailleurs. Mais, chaque fois que je reviens, ce décalage que tu décris si bien me semble s’accentuer un peu plus en moi… Est-ce grave, docteur?
😆
Je ne sais pas si c’est grave, mais j’espère que c’est incurable! 😉 Au fond, je n’échangerais pas ce «décalage» contre la paix d’esprit que je recherche (parfois) si le prix à payer était la sédentarité.
Des parenthèses d’ailleurs, ça fait toujours telllllement de bien! Mais j’avoue que l’idée de me réinstaller à l’étranger pour une longue période ne cesse de me titiller…. T’es pas tentée parfois, toi?
Ben… si! Très très tentée.
J’y songe entre deux parenthèses.
😉
Mais j’ai aussi conscience de l’énorme différence qu’il y a entre voyager pour le plaisir le temps des vacances, et s’installer à l’étranger pour une longue période. Il faudrait, pour commencer, que j’aie un projet un peu plus abouti que la simple envie de voir ailleurs si j’y suis…
😀
Oui, je comprends comment tu te sens. Quand je dis que je “retourne” en Chine, je me trompe toujours un peu – car le fait d’etre Chinois, qui vient de mon entourage familial, n’a rien de semblable d’etre Chinois, qui vient de cet environnement ou tout le monde se bouscule, et la ou tout va si vite, ou la masse de gens (des pages web avec chacunes leurs innombrables liens) donne des resultats parfois surprenants. Bien, bref, je garde toujours cette perspective que ce qu’on fait au Quebec, au Canada meme, se fait a tellement a petite echelle (que dans un sens, on ne devrait jamais se satisfaire du petit!).
(Pour qqu qui a fait de l’info, mais aussi de la bio, les societes humaines c’est un peu comme un gros cerveau, un World Wide Web, avec des liens, et de l’information qui se passe, se cree!)
@ Cedric: Désolée, je te réponds 100 ans plus tard! Le fait d’avoir vécu à l’étranger m’a amenée à me questionner beaucoup sur les étrangers (ou ceux qui en ont «l’air») qui vivent dans mon pays d’origine… Je me demande par exemple comment serait la vie de ma fille si on allait s’installer en Asie. Se sentirait-elle plus asiatique? Se sentirait-elle en décalage par rapport à ces parents?
Bien d’accord pour ce qui est de la perspective: mon rapport avec la réussite et avec pas mal d’autres trucs a beaucoup changé depuis que j’ai constaté les différences de «bassins» de population!
Un peu de nostalgie m’a poussé à relire tes vieux billets. Celui-ci a fait beaucoup de bien à la fille qui n’a pas encore rangé dans le sous-sol ses valises, sachant pourtant qu’elle ne repartira pas avant un bon moment. Tes réflexions sur la pulsion de partir, sur l’exil chez soi, etc..devraient en fait faire l’objet d’un livre. Crois moi, je serais la première à l’acheter. Continue à bloguer, je me sens moins seule en exil à Montréal 😉
C’est tellement le commentaire le plus sweet! Merci de m’aider à donner un sens à tout ça… XX