Il m’arrive parfois – de brefs instants, mais tout de même – de regretter de ne pas avoir suivi un parcours professionnel plus linéaire. Quand j’entends des journalistes de La Presse me parler de leurs conditions et des voyages payés par leur employeur pour réaliser des reportages internationaux, par exemple. Ou quand, comme ce soir, je tombe sur une enquête que je rêve de mener depuis des années.
Dans le numéro d’octobre du magazine Châtelaine, Jean-Yves Girard nous entraîne au Nicaragua, sur les traces de la fillette qu’il parraine par l’entremise de l’ONG Vision mondiale. Pas en passant par les voies officielles comme une journaliste pigiste fauchée aurait dû le faire (ou en demandant du financement à l’ACDI, ce qui serait revenu au même puisqu’on doit, en échange, mettre en valeur l’aide canadienne apportée), mais aux frais du magazine. À la recherche de Karla F. nous permet de le suivre pas à pas dans son aventure. Son but: voir si les enfants parrainés bénéficient bel et bien de l’argent amassé par l’organisme. Un récit enlevant avec, comme on s’en doute, une bonne part de désillusion.
Ah! Le bon vieux rêve de faire du grand reportage international… Pour me consoler, je me dis que je n’ai pas à «aller au bureau» demain! 😉 Et puis, dans un média traditionnel, mon petit côté givré aurait été muselé. Impossible de tout avoir, même si j’ai du mal à m’y résigner!
Ajout 15 septembre: Voici ce que Jean-Yves Girard m’a répondu quand je lui ai posé la question par rapport au financement de son projet: «Oui, c’est le magazine qui a tout payé – je suis staff, pas pigiste. Ce genre d’enquête ne peut pas être faite par un pigiste, j’ai passé tellement de temps sur ça – et je ne parle même pas du voyage au Nicaragua – qu’à moins d’être payé 1000$ du feuillet, j’aurais mangé du Kraft Dinner pendant longtemps pour pouvoir l’écrire. Comme j’ai aussi été pigiste on et off pendant plusieurs années, je sais de quoi je parle…»
Autre ajout: Réaction de Vision mondiale au reportage de Jean-Yves Girard.
AJOUT 26 novembre: un autre billet sur la vie de pigiste.
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Merci pour le lien, le reportage est super intéressant!… Et continue de rêver, un jour, ce sera ton tour, comme on dit! (-;
De rien! 🙂 Mes choix sont faits depuis longtemps – et assumés (même si j’ai parfois de petits pincements au coeur). En fait, j’ai justement choisi de ne pas en faire! Je ne pense pas que je pourrais rester au sein de la même rédac pendant plusieurs années. Donc, mes voyages pour le boulot sont soit à mes frais, soit commandités (il y a aussi l’option des bourses, mais encore faut-il pouvoir avoir des garanties de publication avant de postuler, ET que, même avec «l’idée du siècle», ladite publication soit suffisamment hot selon les-juges-souvent-très-snobs-envers-la-presse-féminine»).
Et puis, avoir un enfant a aussi changé la donne. Je ne pourrais plus partir enquêter pendant plusieurs semaines, surtout dans des zones le moindrement heavy…
C’est quand meme le statut de pigiste qui permet le plus de voyages (pas forcément de presse, mais c’est possible aussi en tant que pigiste). Et puis on peut partir 3 mois au lieu d’un…
Mais quel rapport avec le regret”de ne pas avoir suivi un parcours professionnel plus linéaire” ?
Simple: un pigiste qui part paie toutes ses dépenses de sa poche (contrairement à un permanent). Je ne sais pas si tu peux imaginer ce que cela signifie pour une recherche de longue haleine. Avant d’aller sur le terrain, il y a énormément de recherche à faire, et au retour, des infos à vérifier, de la rédac, etc. Partir 3 mois à mes frais? Oui, ce serait possible si je prenais tous mes REER… Mais oups! Je l’ai déjà fait, ça! lol
Quand je parle de suivre un parcours plus «linéaire», je parle d’être embauchée par un grand quotidien et de faire ses classes au même endroit, pour éventuellement faire des dossiers fouillés, de grands reportages internationaux. J’ai toujours refusé ce genre de boulot parce que ça ne collait pas à mon envie de tout essayer, de goûter à tous les médias. Surtout, j’étais beaucoup trop impatiente pour parler des chiens écrasés pendant des années en attendant de pouvoir faire ce qui m’intéressait vraiment. Je préfère de loin proposer des sujets aux rédactions des journaux et des magazines plutôt que de devoir faire tout ce qu’on me demande.
Malgré les petits moments de questionnements du genre «Et si j’avais fait ça plutôt que ça?», je ne regrette pas mes choix. J’ai effectivement voyagé pas mal par mes propres moyens, avec mes propres économies (et/ou mes REER…) et en travaillant tout en bougeant. Mais à un certains moment, avec une famille et l’expérience, on a plus les moyens ni l’énergie – ni le goût! – de payer pour travailler.
Morale de l’histoire: la pige = la liberté, mais une liberté limitée par le fric qu’on a… ou qu’on a pas. C’est mon mode de vie et c’est ainsi que je suis bien, mais j’avoue que ce n’est pas toujours compatible avec la vie de famille ou de grands idéaux.