J’avais vaguement entendu parler d’un restaurant taïwanais où les plats étaient servis dans des cuvettes et des urinoirs. L’idée m’avait fait sourire, mais avait fait pousser la grimace à tous ceux à qui j’en avais parlé. Concept amusant ou dégoûtant? Ne reculant devant rien, je me suis rendue sur place pour constater le tout de visu!
Première surprise en visitant le site Web de The Modern Toilet: le restaurant est en fait une chaîne! Devant le succès du premier établissement taïwanais, des succursales ont vu le jour à Hong Kong et au Japon. «To eat or to pee?» («Pour manger ou pour uriner?») peut-on lire d’entrée de jeu dans la version anglaise du site. Pour la petite histoire, on raconte que l’idée a germé dans la tête du propriétaire Wang Tzi-wei alors qu’il lisait un manga dans lequel des toilettes apparaissaient sur les menus d’un restaurant alors qu’il était… au petit coin. Au départ, la première gargote servait uniquement de la crème glacée. L’enthousiasme des clients a été tel que le premier restaurant avec un menu plus varié inspiré de cette idée a ouvert ses portes en 2004. Seize succursales accueillent aujourd’hui les curieux.
Ma visite des lieux
Une fois devant la porte de celui du quartier Hsimenting, à Taipei, j’ai une autre preuve de l’engouement des consommateurs : l’attente pour une table est d’environ quarante-cinq minutes. Nous armant de patience, Chéri, Bébé et moi revenons un peu plus tard pour nous mêler à la foule bigarrée entassée sur trois étages. Comme dans plusieurs endroits du genre en Asie, les couleurs sont criardes, la déco plutôt kitsch et la mando-pop joue à tue-tête. On ne choisit pas The Modern Toilet si l’on a envie d’une soirée romantique avec éclairage tamisé! Bien que la moyenne d’âge soit d’environ 17 ans, des familles, des couples et des groupes de gens un peu plus âgés se massent autour des lavabos ou des baignoires coiffés de plaques transparentes qui font office de tables.
Des toilettes servent bel et bien de trônes aux rois et aux reines de la soirée. L’un des plats taïwanais les plus populaires, le «hot pot», une espèce de fondue dans laquelle mijotent des légumes et de la viande, est servi dans de petites cuvettes aux couleurs pastels. Je promène ma minicaméra pour me souvenir de chaque détail de la scène. Devant moi, deux jeunes femmes plongent cuillères et baguettes dans la mixture fumante. «C’est bon?», me risqué-je. «Oui!» répondent-elles la bouche pleine.
Plus loin, un groupe d’ados prend la pose pour immortaliser leur passage dans ce haut lieu de la culture pop taïwanaise. Mon regard se fige un instant sur des urinoirs contenant de la crème glacée au chocolat disposée de manière à rappeler… oui, vous avez compris. Les gloussements et les sourires des convives ne laissent planer aucun doute sur leur appréciation des lieux.
Ça goûte la m…. ou pas?
Le menu comprend quelques spécialités occidentales. Nous décidons d’essayer un peu de tout: poulet au curry, calmars et frites. Le serveur ne parlant pas du tout anglais, il a toutes les misères du monde à associer les noms que nous lui pointons aux noms chinois. Ainsi, nos calmars prendront finalement la forme… d’oignons français. En attendant nos plats, je sirote une limonade servie dans une gourde en forme d’urinoir que je pourrai conserver en guise de preuve de mon passage dans ce lieu culte.
Nous poireautons ce qui nous semble une éternité avant de voir la couleur de notre repas. En a-t-il valu l’attente? Le curry est bien inférieur à ce qu’on a l’habitude de manger à Taïwan – même dans les marchés de nuit ou les petits bouibouis. Les oignons français sont plutôt pâteux. Quant aux frites – disposées dans une minibaignoire –, elles m’apparaissent bien molles et fades.
Le clou
Je me dis que le dessert devrait sauver la mise. Après tout, ce sont eux qui, photographiés sur leurs socles inusités, ont fait le tour de la planète Web et piqué la curiosité de plusieurs internautes, dont votre humble reporter!
Je m’offre donc la totale: un immense bol de glace marbrée, de biscuits et de bonbons. Le hic? Le tout est joliment couché sur un lit de glace, ce qui donne la fausse impression que la portion est gargantuesque. Un sirop brunâtre (sans commentaire) rehausse l’illusion d’un coulis glissant sur une montagne sucrée. Non seulement mon urinoir ne contient que quelques cuillerées de crème glacée, mais elle goûte davantage l’eau que quelconque substance lactée. Alors, c’est pour ça que les Taïwanais font la queue? Non. En réalité, The Modern Toilet représente le top du cool. C’est ce qu’on achète en s’y rendant. On y va d’abord pour dire qu’on y est allé et en rapporter le plus de preuves possible. Le menu est bien secondaire!
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