En visionnant les vidéos de Romain Corraze, je ressens toujours la même chose. Peu importe la beauté ou la laideur des lieux, les moments de bonheur ou les embûches, c’est le sentiment de liberté que je perçois.
J’ai beau chercher depuis des années à la trouver à l’intérieur de moi, cette liberté, jamais je ne la sens jamais aussi proche que sur la route. L’odeur du bitume, du varech, de l’ailleurs. Sentir la sueur dévaler ma colonne vertébrale tout en frissonnant. Un sentiment qui me grise plus que n’importe quelle bouteille de champagne.
La quête. Si proche de la fuite. Un pas et on franchit la ligne qui nous emmène en avant, ou en arrière. L’équateur du voyageur. Le Nord et le Sud comme la tête et le coeur.
J’ai l’impression que chaque kilomètre avalé me rapproche de mon essence. La distance me permet le recul nécessaire pour relativiser. Ici, tant de choses futiles m’apparaissent importantes… Chaque retour me le fait réaliser un peu plus. Mais au fil du temps, à mesure que je replonge dans «ma vie», je vois les vieux patterns se pointer le nez. L’insatisfaction, aussi. Partir me donne la douce illusion de laisser mes côtés sombres derrière. J’aligne mes chakras en me contorsionnant en classe écono! Je blague, mais il se produit un truc étrange quand je franchis la douane. Une impression de légèreté. Cent fois jongler avec les retards des compagnies aériennes plutôt que de passer l’aspirateur.
Quand j’ai un coup de cafard, je m’amuse à tracer des itinéraires de voyages autour du monde. Je modifie le trajet selon le budget hypothétique que je m’alloue. Je biffe rapidement les endroits où le mercure descend sous zéro. Non mais c’est mon rêve, là! Je m’imagine tour à tour partir à la découverte de Zanzibar, du Bhoutan, du Kerala et de Madagascar.
Il y a toujours au moins une escale dans une île du Pacifique (les seuls noms «Vanuatu» et «Tuvalu» suffisent à m’accrocher un sourire niais au visage). Je passe plusieurs semaines à Bali. Je «m’enfarge» aussi au Vietnam, au Laos, en Birmanie… Rien à faire, je retournerai toujours en Asie. Je tergiverse un peu, puis fixe généralement un arrêt à L.A. au retour. Tant qu’à faire…
Puis, vient l’inévitable retour à la réalité. Si j’allais vivre sur la route pendant un an, deux ans, dix ans, je ferais quoi après? Comment l’ordinaire peut-il paraître séduisant quand on a vécu dans l’extraordinaire pendant plusieurs mois? A-t-elle une fin, cette quête? Trouve-t-on miraculeusement la paix au détour d’une route? Le désir d’aller plus loin va-t-il, au contraire, en s’intensifiant? Est-il nécessaire de se fixer quelque part, au fond? J’ai encore et toujours tellement de mal avec le concept de «racines»…
J’ai maintenant une famille. Ce rêve de tour du monde, je l’imaginais plutôt en solo (bon, ce n’est pas comme si je n’avais jamais bourlingué seule!). L’idée de le faire un jour avec mon mari et ma fille me titille cependant de plus en plus. Vais-je me lancer dans l’élaboration d’un autre projet fou? Si oui, que se passera-t-il après?
Je cherche quoi, au fond? Que cache cette peur chronique d’avoir une vie «ordinaire»? Voilà que je me sers une autre bonne portion de questions identitaires…
P.S.: Paula aborde un thème similaire dans ce billet. Ce «mal de l’ailleurs» me lacère aussi le ventre régulièrement.
P.P.S.: Pour la «plogue», notre dossier principal de ce mois-ci, dans Clin d’oeil, aborde la question de la quête/fuite du voyage. Un article signé Karine Charbonneau!
15 Commentaires
“A-t-elle une fin, cette quête?”
La quête, ce n’est pas la destination, c’est le chemin.
Je viens de tomber sur ton post entre deux papiers à pondre au boulot… Décidément, tu es bien ma sœur jumelle pour tout ce qui touche à cette irrépressible envie d’ailleurs!!!
😉
Je vais allez explorer les liens que tu indiques plus tard… Mais il me “cause” carrément, ce post. Pareil, je me demande si/quand je réaliserai un jour mon “projet fou”…
Pas pu m’empêcher de twitter cette phrase, j’adore, ça résume tout (et c’est tellement moi): “Cent fois jongler avec les retards des compagnies aériennes plutôt que de passer l’aspirateur.” (D’ailleurs, je n’ai pas encore passé une seule fois l’aspi depuis mon retour de Thaïlande… oups!)
😆
Très beau billet!!
Je te comprends totalement. Justement, en ce moment, voyager me manque. Ça me démange!!!
Il me semble que ça fait trop de mois que j’ai les deux pieds dans la réalité.
@Vero Shapiro: Moi j’ai parfois l’impression que je ne cherche pas à me rendre quelque part, mais à rester sur le chemin le plus longtemps possible, justement!
@Corinne: Pas pour rien que j’aime tant te lire! 🙂 Quand au ménage, heureusement que j’ai un mari génial et compréhensif parce qu’il y a longtemps qu’on aurait été ensevelis sous la poussière! lol
@Gina Desjardins: Merci! La réalité… Et si c’était plutôt les voyages, la réalité? Tout est une question de perception! 🙂
Allo, comme je t’ai écrit sur FB, ce billet m’a touché et rejoint. C’est bien écrit… je le fais lire à mon chum ce soir… et je suis certaine que tu vas nous faire planner toute la soirée.
Après notre premier projet fou il y a maintenant presque 5 ans… la seule façon que j’ai trouvé pour me consoler à la fin de notre escapade a été de me dire que la vie serait composée de projets fous…
Tout est possible…
C’est tellement totalement ça…
Et moi aussi, il m’arrive souvent de rêver d’un projet fou… Mais je ne pars qu’un mois et ça me prend des mois à réapprendre à être heureuse dans le quotidien “ordinaire”… J’anticipe la déprime qui suivrait un périple d’une année… Alors, je tais le projet fou, je me raisonne, “il faut travailler, payer la maison, s’occuper du chat”… Je me demande si un jour j’aurai le courage.
Enfin… Merci, quand je viens sur ton blogue, je me sens moins seule avec mes éternelles questions existentielles. 😉
@JulieT Ça me fait tellement plaisir de savoir que tu as aimé! 🙂 Moi, je trouve que vous vivez déjà un très beau projet fou!
@Paula Pour ça que j’aime aussi aller visiter le tien… 😉
Je ne sais pas non plus ce que cache “la peur chronique d’avoir une vie ordinaire”… Mais je dois avouer que je n’envie pas le moins du monde la vie choisie par la majorité des gens autour de moi. J’aime ma vie à l’étranger, avec ses hauts et ses bas, j’aime me remettre en question confrontée à d’autres cultures, d’autres façons de voir les choses.
Par contre selon mon expérience, ce qui est extraordinaire au départ devient “ordinaire” après quelques années. C’est dans cet état que je me trouve maintenant après deux ans à Shanghai. Serait-ce venu le temps d’élaborer un autre “projet fou”? 😉
@Veronique: Le truc, c’est de revenir passer quelques temps au Québec. La vie est si facile quand on comprend tout ce qui se dit autour de nous! Rapidement, Shanghai te manquera… 😉
Sinon, il est possible d’avoir très facilement un visa de travail pour la Nouvelle-Zélande avant 35 ans… http://www.swap.ca/out_fr/destinations/newzealand.aspx
Tu as sûrement raison!
Cool pour le swap. Je pensais être trop vieille… d’ailleurs la NZ est le seul pays qui accepte les 35 ans! Signe du destin? 😉
J’ai adoré lire ce billet. Mais je suis renversée de constater à nouveau à quel point nos pensées et questionnements existentiels vont dans le même sens. C’est peut être notre sang du Lac ? 🙂 Crois le ou non, il y a quelques jours, je voulais justement écrire un statut du genre : “Je suis toujours à la recherche d’une vie “extra” ordinaire… Pourquoi ?”Et je n’avais pas lu encore ton billet… ouf… Merci de mettre si bien en mots le tourbillon dans ma pensée.
@Isabelle Marjorie Tremblay Merciiii! XX
Personne n’a une vie “ordinaire”. Il n’y a que l’illusion que l’on s’en fait.
coucou, c’est fou, tu mets les mots sur mes maux du moments! Je suis à 5 mois de la fin de mon PVT au Canada, pas l’envie de rentrer et pas forcément l’envie de rester la où je suis. Ma mère me harcele même pour rentrer maintenant pour mon chien et mes affaires qui l’encombre et me dicte ma vie même à 5000km de là… Et depuis quelques jours le seul mot dans ma tête : Liberté. J’aimerai tant écrire sur ce mot, QU’est ce que la liberté ? as t’elle un prix cette liberté, quels sacrifices … Tant de questions autour de cela, je me sens comme prisonnière de ma vie et rentrer, ca serait comme retourner en prison… Mais comme tu dis, être sur la route, sur le chemin c’est la que je ressens le plus cette sensation de liberté. 3 jours dans un bus à traverser le Canada, c’était si peu au final, car jamais je ne voudrais arriver à destination comme si on écrivait “The End” une fois arrivée! Je suis perdue par tout ce que je ressens en ce moment et du fait qu’ aucune personne autour de moi ne peut me comprendre, ni ressentir tout cela…Je suis comme une insatisfaite parceque j’en ai jamais assez, une extra-terrestre à leurs yeux parce que je ne veux pas de la petite maison avec la jolie famille et la belle voiture avec laquelle on irait au parc le dimanche. Moi je veux juste cramer les kilomètres… Mais en vous lisant toi et ceux qui commentent, ça me rassure un peu! Rentrer sans pouvoir faire là maintenant tout ce qui me tient à coeur. C’est comme si jamais je ne pourrais le faire. Une fois rentrée, ce retour à la réalité, qu’est ce qui m’attend de bon après avoir fait tant de choses en 7 mois !!! J’ai mal au coeur. Ne devrais-je pas être contente de rentrer ??? Je veux juste ma liberté…
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