J’avais 19 ans. C’était avant les voyages. Je venais de débarquer à Montréal pour effectuer mon stage de fin d’études à MusiquePlus. Mon mandat officiel: travailler pendant cinq semaines comme assistante à la réalisation et recherchiste aux émissions spéciales. J’ai principalement bossé sur trois productions: un spécial Roman Polanski, les 15 ans de Starmania et Politiquement direct. Tellement de plaisir que je suis restée une sixième semaine. Gratos.
Ce printemps-là, Véro Cloutier était régulièrement vue dans les magazines à potins avec son mec, José Gaudet. Juliette Powell faisait son MBA tout en multipliant les erreurs de français en ondes. Geneviève Borne était blonde. Le Doc Mailloux n’avait pas encore croisé le chemin de Philippe Fehmiu. Marie-Christine Blais était reporter à Fax, émission pour laquelle je rêvais à l’époque de travailler.
Kurt Cobain est mort.
Mon stage s’est terminé.
J’ai balancé mes lunettes épaisses pour des verres de contact. Mes vêtements «je-suis-une-fillette-qui-doit-avoir-l’air-un-peu-pro» qui me donnaient l’air d’une matante dans un show rock. Après un été à découvrir la ville, que je sillonnais tous les jours en tant que représentante pour un magazine de photographie, on m’a offert un boulot d’assistante aux communications à la station, le temps d’un congé de maternité. Une année extraordinaire, même si j’ai su très rapidement que les relations publiques ne seraient jamais «mon bag» (et encore moins le travail de bureau). Je me sentais bien. Et furieusement branchée avec mes nouveaux kits post-grunge-renaissance-du-punk. 😀
Officiellement, je devais répondre au téléphone, m’assurer que le département publicitaire terminait les pubs radio à temps, faire autographier des photos des VJs et les envoyer aux fans et faire pas mal de coordo. Officieusement, je rédigeais les pubs radio en cachette parce que le rédac’ me les soumettait toujours en retard (et que c’était moi qui me faisait engueuler quand c’était le cas), je m’amusais à trouver des lignes punchées pour les pubs imprimées, et je tapais les lettres des boss – même ceux d’autres départements.
Mes 20 ans sont liés à la musique. Marqués par les images des vidéoclips, que je pouvais voir toute la journée du coin de l’oeil. Par Green Day, mon coup de foudre cette année-là. The Offspring, Nine Inch Nails (Closer ferait sans aucun doute partie de la trame sonore de ma vingtaine), Beastie Boys, Hole, Blur, Oasis, R.E.M., The President of United States, Les colocs et Jean Leloup, aussi. Par Zombie, la maudite chanson de The Cranberries que je trouvais insupportable mais que mes collègues faisaient jouer à tue-tête dans le speaker de leur téléphone (vous imaginez la qualité sonore…) dès que le clip se pointait à l’écran. Encore aujourd’hui, le refrain me fait l’effet d’ongles sur un tableau.
À 20 ans, j’ai vu défiler les plus grandes stars. Assisté à des tas de spectacles (suffisamment, en tout cas, pour ne plus avoir envie d’en voir aujourd’hui). Festival de Jazz, Francos, Lolapalooza… Écumé les bars (surtout Le Dogue, le jeudi soir! lol). Cinq souvenirs, en vrac: Collective Soul et ses membre «capillairement bien pourvus» (et surtout, les regards échangés avec mes collègues), Daran et ses chaises, que tout le monde adorait, Moist, qui rendait toutes les filles complètement folles, le t-shirt Fuck la mode qu’arboraient mes collègues de Perfecto, et la langue de Gene Simmons. C’était aussi l’année de mon premier grand amour, qui gagnait sa vie en faisant des jokes qui ne me faisaient pas rire (hi! hi!), et des rencontres déterminantes. Plusieurs collègues de cette époque sont toujours dans ma vie, dont quelques amis très précieux.
J’étais aux premières loges: mon bureau était pratiquement dans le corridor, près de l’entrée arrière, là où les artistes arrivaient. Un ami m’a aussi rappelé ce détail intéressant récemment: l’ancien édifice de MusiquePlus ne possédait pas de loge. Résultat: on pouvait croiser Vanessa Paradis au petit coin. Je me rappelle encore de Marie Carmen qui faisait des vocalises pendant que je me lavais les mains…
Ce soir, j’ai mes 20 ans en travers de la gorge. À cause d’un certain Mano Solo, dont l’histoire et les chansons m’avaient touchées et qui n’est plus.
Comme mes 20 ans.
P.S.: Bon voyage, Mano Solo.
10 Commentaires
Il n’y a pas si longtemps, nous parlions de Mano Solo, toi et moi… et comment sa musique nous avait touchées… Sa mort m’a complètement bouleversée. Il n’y a que lui et sa musique pour m’amener aussi instantanément et profondément dans l’émotion…
Et ton billet, lui, m’a ramenée dans une bien belle période de ma vie. Merci.
C’est super impressionnant de lire tout ce que tu as vécu cette année-là !!!
Moi qui te connais quand même bien, je ne savais pas que nous partagions “Mano”.
Merci pour ce billet, qui ramène à toute une époque et tout un homme.
Salut,
À cette époque, mon bureau était dans le studio et Juliette Powell dansait dessus tous les vendredi soirs pour Bouge de là… C’était celle des lunettes noires de tout le band de Bon Jovi, des souliers plateforme du minuscule Simon LeBon qui tentait un retour, de la belette Vibrante de Parizeau… et de la mort de Patrick Esposito.
J’ai travaillé peu de temps après mon départ de M+ avec d’autre monde, et j’ai croisé Mano Solo aux Francos. Mais c’était encore l’époque où la trithérapie n’avait pas laissé le temps à bien des gens d’être résilients, ou de continuer à crier leur art.
Le temps passe et nous bouleverse, mais il laisse aussi des cadeaux au passage.
@Paula: La mort de Lhassa m’a touchée; celle de Mano Solo m’a fait pleurer… comme sa musique.
@Marie: Avoue que c’est le bout du linge de matante qui t’a le plus impressionnée… lol
@Milou: Je ne savais pas non plus que tu étais une fan. Que me caches-tu d’autres? 😉
@Suzanne: Une mononucléose m’a empêchée d’aller voir son spectacle au Francos cette année-là. Nancy C, qui travaillait aussi aux Francos, m’avait offert son album dédicacé pour me consoler… Sa mort m’a rappelé à quel point le temps passe vite. Et à quel point cette année-là a contribué à déterminer la suite des choses… Marquante sur tous les plans. P.S.: My God. Juliette sur ton bureau! Oui, c’était toute une époque. lol
Très cool comme billet, toute une époque effectivement.
C’est drôle, mais le rêve le plus récurrent que je fais, et ce de puis plusieurs années, c’est que je retourne travailler à M+… je cherche encore la signification.
Tu sais quoi Marie-Julie, t’es en train de me donner le goût de me partir un blogue, sérieusement!
Merci de l’attention sur Twitter, très gentil de ta part…
à+
@Eric Parazelli: Je me demande pourquoi tu ne l’as pas encore fait! 😉 Quand j’ai créé Taxi-brousse, c’était parce que je rongeais mon frein, un peu déstabilisée par mon nouveau statut de mère qui ne peut plus sauter dans un avion quand elle en a envie. J’avais envie de mettre de l’ordre dans les souvenirs et de me replonger dans ce qui faisait l’actu du monde du voyage. Le temps a passé, j’ai repris la route et le blogue a évolué. Tout comme moi. Bloguer m’a permis de réfléchir «à voix haute» et d’aller de plus en plus vers ce que j’avais vraiment envie de faire. Je vois Taxi-brousse comme mon ultime espace de liberté.
Quant à ton rêve, je pense que le message est assez clair… 😉
Quand j’ai rencontré Juan, il chantait du Mano à tue tête et maudit que je le trouvais craquant. En l’aimant j’ai aussi commencé à chanter Mano. Il aura tenu 23 ans malgré la maladie qui le rongeait. J’adore cette phrase de l’une de ses chansons “Si tu m’avais demandé, moi je t’aurais dit, que dans la vie ce qui compte, c’est pas l’issue mais c’est le combat” Et maudit qu’il aura mené un beau combat! Respect…
Très beau billet, Marie-Julie. Plein de souvenirs, d’émotions, de tendresse. Mon coup de coeur de ce début de semaine.
On ne peut que s’incliner bien bas devant Mano et son oeuvre…
Blast from the past !
Merci pour ce beau voyage vers le passé. Que de beaux souvenirs !