Le bout du monde sur un bout de papier

L’agence s’appelait IYS – International Youth Service. Leur mission: mettre en contact des jeunes correspondants des quatre coins de la planète. Vous dire à quel point j’ai voyagé en regardant leur dépliant! J’ai beaucoup plus appris en faisant des recherches sur les pays mentionnés – sans Internet, dois-je le préciser – que dans mes cours de géo. Je me limitais alors aux pays où il était possible de trouver des Francophones, même s’il était indiqué que ce n’était pas la première langue du pays.

Les liens tissés ne se sont pas avérés très durables, dans la plupart des cas. Je me souviens de ce Grec qui, d’entrée de jeu, m’a demandé de lui dévoiler les punchs des séries américaines que sa soeur aimait regarder – séries dont je n’avais jamais entendu parler ni d’Ève, ni d’Adam, dans mon Lac-Saint-Jean natal. Notre histoire d’amitié a duré trois lettres. Assez toutefois pour entretenir ma fascination pour la Grèce. J’ai longuement regardé les photos qu’il m’avait fait parvenir, m’imaginant un jour fouler le sol de cette contrée mythique. Non, je n’y suis pas encore allée [MÀJ 2017: j’y suis allée trois fois depuis la rédaction de ce billet]. Comme le Pérou, la Grèce fait partie de mes fantasmes depuis si longtemps que j’ai presque peur de m’y rendre. Peur que toutes ces années à en rêver altèrent les couleurs de la réalité… Je ne pense cependant pas résister encore bien longtemps à l’appel des divinités olympiennes.

Il y a eu la phase où je cochais presque systématiquement «masculin» comme préférence. Mais non, je ne suis jamais tombé sur le prince charmant exotique qui peuplait mon imaginaire d’ado romantique (ça, c’est venu plusieurs années plus tard, après un nombre incalculable de crapauds de différentes espèces! lol).

Je me souviens aussi de cette Autrichienne avec qui j’ai échangé quelques missives parce que j’avais confondu «Austria» avec «Australia» au moment d’envoyer ma demande… 😀

J’ai bien sûr correspondu avec quelques Français et même une Monégasque. Une seule relation épistolaire s’est étendue sur plusieurs années. Mais avec le temps, j’ai oublié même le nom de mon amie.

Avant de découvrir IYS (par l’entremise de ma copine Milou, si ma mémoire est bonne), j’avais tissé des liens avec une fille de Pierrefonds grâce au magazine Filles d’aujourd’hui. Pour moi, Pierrefonds, c’était le top du dépaysement (et Filles d’aujourd’hui, ma bible)! lol

Ma prof d’anglais m’a aussi mise en contact avec un gars d’Oshawa, en 1e secondaire. Après des semaines à le voir à l’image de Corey Haim dans ma tête (au pire, Corey Feldman),  j’ai failli fondre en larmes en pleine classe quand j’ai reçu sa photo. L’image-type du nerd des années 1980 (ce que j’étais moi aussi, il faut bien l’avouer). Sur sa photo, il portait un t-shit beige et brun. Il avait les cheveux en bataille (genre coupe Longueuil, mais frisottante), les dents croches et tellement de boutons que je ne l’aurais pas approché à moins de deux mètres. Ouf.

Je me demande souvent comment aurait été mon adolescence à l’époque d’Internet. Aurais-je eu autant de plaisir à échanger des courriels qu’à courir vers la boîte aux lettres pour voir si une missive m’attendait? Probablement… En même temps, il y avait quelque chose d’incroyablement romantique dans cette attente, dans ces lettres tracées à la main et ces photos de papier glacé. Quelque chose de très intime, aussi. J’ai l’impression qu’il était plus difficile de mentir quand on se dévoilait autant. Les mêmes lettres tapées sur l’ordinateur me semblent plus anonymes… Personnellement, je me sens bien nue quand j’écris avec un crayon. Exposée. Vulnérable.

Par contre, je ne supporterais plus l’attente aujourd’hui. Il fallait des semaines avant qu’une lettre traverse l’océan, même si on apposait le petit collant «Par avion» dessus! Je suis tellement dans l’instant que les nouvelles publiées deux heures plus tôt m’apparaissent parfois obsolètes. J’ai l’impression que mon rapport au temps est parfois tordu, d’ailleurs. Chose certaine, il a changé. Mais ça ne m’empêche pas d’avoir des moments de nostalgie. Le présent, c’est bien, mais se rejouer quelques épisodes du passé amène aussi un sourire aux lèvres… Je suis encore un peu (beaucoup), cette adolescente fleur bleue.

Preuve que les temps ont changé, IYS a fermé ses portes en 2008 après une soixantaine d’années d’existence. On peut encore, sur Facebook, partager nos souvenirs avec d’anciens correspondants. J’ai préféré le faire ici…

P.S.: Merci à Corinne de Vailly, qui s’est souvenu du nom de l’agence, et à Valérie Thibault!