J’ai raconté maintes fois mes expériences à l’étranger en solo, mais je le fais à nouveau pour rappeler que ce n’est pas parce qu’une femme partie seule à Istanbul, Sarai Sierra, 33 ans, a été assassinée au début du mois qu’il faut oublier tout ce que ce type de voyage peut apporter.
***
C’était en 2001. J’avais 26 ans, des amis extra, un job de rêve et des collègues que j’adorais. Depuis quelques années déjà, je m’offrais régulièrement des escapades en solo. Une semaine à Lisbonne, la première fois, où j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps avant de ressentir ce déclic. Trois mois à Ouagadougou pour apprendre les rudiments du vidéoreportage. Un mois à Vancouver pour parfaire mon anglais. Des escapades à Cuba, Bruxelles, au Nouveau-Brunswick… Mais ce n’était pas assez. J’avais l’impression de tourner en rond. Le sentiment qu’il me manquait une pièce importante du puzzle. Et cela n’avait rien à voir avec mon célibat. Je ressentais une soif de découvertes de plus en plus pressante.
À cette époque, quelques-uns de mes meilleurs amis étaient partis vivre au Japon et en Australie. Je rêvais moi aussi d’aller bourlinguer au pays des kangourous pendant un an grâce au visa vacances-travail. Vivre de jobines pendant un an? Je m’en foutais, ma vie professionnelle se portait plutôt bien. En six ans de travail acharné, j’avais atteint tous les objectifs que je m’étais fixés (chroniques et reportages télé, publications de reportages dans plusieurs magazines et journaux prestigieux, etc), mis à part l’écriture d’un roman. De toute façon, je n’avais pas assez vécu pour écrire un bouquin à la hauteur de mes espérances…
Que faire, alors? Mais vivre, pardi! Après avoir regardé les gens vivre dans mes reportages, il était temps que j’aille à mon tour découvrir ce que j’avais réellement dans le ventre. De devenir l’héroïne de ma propre histoire. Oui, le bon vieux «partir pour mieux se trouver». Certains clichés ont leur raison d’être.
C’était en 2001, donc. Un jour d’avril. J’étais morte de trouille. Je partais seule en Thaïlande, en passant par Tokyo pour aller saluer les copains. Je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait. Aucune idée de mon itinéraire. Ni de l’impact qu’aurait ce voyage sur le reste de ma vie.
Ces cinq semaines en Asie ont confirmé mon envie d’aller vivre à l’étranger pendant une période prolongée. L’Australie? Nah. Toutes mes économies avaient fondu comme une glace sous le soleil de Ko Phi Phi… De retour à Montréal le temps de vendre (presque) toutes mes affaires (mes affaires étant principalement à l’époque des vêtements, BEAUCOUP TROP de vêtements), j’ai décroché un boulot de prof d’anglais à Taïwan après avoir répondu à une annonce sur Internet.
J’y suis restée un an de demi.
Après dix mois d’enseignement, j’ai recommencé à rédiger et tourner des reportages pour La Presse et différentes émissions de télévision (Le Petit Journal, La Revanche des NerdZ, Le grand blond avec un show sournois…). J’avais le prétexte idéal pour approfondir les questions culturelles qui me titillaient. J’ai aussi étudié le chinois, mais pas assez pour tenir une conversation, comme je l’évoquais dans ce billet.
J’ai beaucoup blagué en disant que je partais «faire un grand casting international pour trouver l’homme de ma vie», mais jamais je n’aurais pu imaginer les surprises qui se trouveraient sur ma route (en l’occurrence, mon futur mari africain rencontré… en Asie).
Suite à mon exil asiatique, j’ai publié le guide Embarquement immédiat et le récit Cartes postales d’Asie (et cinq livres depuis, en plus de participer à deux collectifs). Toujours pas de roman. Ça viendra. Toujours trop occupée à vivre…
Partir seule m’a permis de comprendre qui j’étais, sans mes étiquettes professionnelles. De rencontrer des gens que je n’aurais jamais croisés autrement, et pas seulement parce qu’ils étaient originaires des quatre coins de la planète (quelles sont les chances que je développe une amitié avec un menuisier ici, alors que je suis entourée de gens qui travaillent en communications?). De constater mes limites. De les dépasser, parfois. De chérir et assumer ma bulle quand j’avais besoin de m’y réfugier. D’aller vers les autres quand la solitude me pesait. De mesurer la force de mon instinct. De lui faire confiance. De ME faire confiance.
Partir seule m’a mis du plomb dans la tête (mais pas trop, rassurez-vous) et fait pousser des ailes. Aidée à accepter que je n’ai pas le contrôle sur tout. Que c’est dans le mouvement que je trouve mon équilibre. Que le chaos est mon habitat naturel. Et que ce n’est pas la fin du monde si je n’entre pas dans aucune case.
Cela dit, voyager en solo n’est pas sans risque. La mort de Sarai Sierra donne des frissons dans le dos. Histoire aussi triste que tragique. Comme l’a été, il y a quelques années, celle de Renée Wathelet.
Plusieurs autres blogueuses l’ont souligné: ces événements auraient pu se produire n’importe où. Elle n’a pas été tué PARCE QU’ELLE voyageait seule. La violence envers les femmes se produit AUSSI ici, à deux pas de chez soi. Des hommes comme des femmes meurent sous les coups de cinglés partout dans le monde.
Je ne me suis jamais sentie aussi en sécurité qu’en Asie (beaucoup plus que n’importe où en Amérique du nord!). Au fil des ans, j’ai bourlingué seule au Mali, au Cambodge, à Singapour, dans plusieurs coins d’Europe, du Canada, des États-Unis… Je suis pourtant la personne la plus peureuse de la Terre (et c’est encore pire depuis que je suis mère). Je ne prends pas de risques inutiles. Je me fie à mon jugement. Je porte très peu de bijoux et je tente de dissimuler ordinateurs et autres gadgets électroniques du mieux que je peux (c’était plus difficile en Afrique à la fin des années 1990 avec une caméra gigantesque valant des milliers de dollars!). Je suis consciente du danger, de la même manière que je le suis à Montréal. J’évite par ailleurs de voyager seule dans des contrées où je sais que je ne me sentirai pas à l’aise.
Je l’ai déjà écrit: il est impossible pour une femme d’aborder le monde de la même manière qu’un homme. Nous n’oublions jamais notre sexe. Des années et des années de féminisme ne pourront changer ni notre physique, ni notre éducation. On nous apprend à avoir peur dès notre plus jeune âge. Comme mère, j’ai beau vouloir que ma fille soit forte, inconsciemment, je lui apprends sans doute moi aussi la peur en lui exposant les risques du monde qui l’entoure. Cela dit, j’espère qu’elle aura la confiance pour aller au bout de ses rêves, y compris celui de voyager en solo s’il se manifeste (mieux vaut toutefois que je n’y pense pas trop maintenant, lol).
Dans ce reportage de NBC news, des personnes interviewés affirment qu’une femme ne devrait pas voyager seule. Je pense plutôt que les imbéciles ne devaient pas parler à travers leur chapeau. Et sortir un peu de chez eux…
P.S.: Sur Twitter, un nouveau mot-clic a vu le jour: #WeGoSolo. Des femmes l’utilisent pour parler de voyage au féminin.
Pour poursuivre la réflexion, je vous invite à lire ces billets, tous très pertinents:
• Female solo travel is NOT the problem, Steph (Twenty-something travel)
• YES it’s sage to travel solo as a female, Camille (Travel yourself)
• Revisiting the solo female travel experience, Jodi Ettenberg (Legal nomads)
• The women traveling solo question, Christine Gilbert (Almost Fearlests)
• Voyager en solo, Corinne Bourbeillon (Petite bulles d’ailleurs)
• Solo travel mistakes to avoid, Janice Waugh (Solo traveler)
• Don’t wait for a travel partner, Evelyn Hannon (Journeywoman)
• The truth about solo female travel and safety, Kate McCulley (Adventurous Kate)
À découvrir également:
• Une femme devrait-elle voyager seule? (Mon billet sur EnTransit.ca)
• Astuces pour voyageuses en solo (+ l’article de La Presse)
• Voyager seule: aller au bout de son rêve
• Partir en solo: fuite ou quête personnelle?
Pour me suivre sur Twitter et Instagram: @Technomade.vez par ailleurs me
23 Commentaires
Très beau, très inspirant. Je partage la plupart de tes sentiments. Apprendre à se faire confiance, écouter ses instincts, les laisser exister surtout. Et puis tous ces gens magnifiques que l’on rencontre parce qu’il partagent les mêmes envies philosophiques que nous, pas seulement une profession! Aujourd’hui, je crois que ce n’est pas une question que d’être femme ou non, on nous élève tous dans la peur de l’inconnu, on nous rend fragiles et malléables. Il faut décider de ne plus écouter ces voix confortables qui voudraient nous faire croire immortels tant que l’on se terre chez soi. Il faut embrasser la vie, la différence et partir à la rencontre de ces gens qui peuvent nous aider trouver cette liberté, en nous montrant d’autres façons de faire et de voir qui jusqu’ici nous ont peut-être échappé.
Bonjour, Suite au sujet voyager seul, je souhaiterai avoir l’expérience de femmes ayant voyagé seules avec un enfant en bas âge. L’équateur est un pays qui m’attire. Le Pérou et la Bolivie m’ont particulièrement plu mais je voyageais avec une amie et non avec un enfant. Ceci dit je ne suis pas particulièrement arrêtée sur un pays en particulier. Toutes expériences, conseils, infos, pays à faire avec un enfant et autres… sont les bienvenus. A bientôt j’espère.
Merci pour cet article qui fait réfléchir. Je pense de plus en plus à l’aventure solo et votre parcours me fait rêver.
Superbe article, quand on est fait pour ça, il faut se lancer à l’aventure…Ceux qui n’osent pas le regretteront toute leur vie…
Ça fait un moment que j’avais pas traîné sur ton blog. Bel article. Bien écrit. Ça donne presque envie de re-re-partir…
Je suis très émue à la lecture de ce billet. (Y a-t-il un Lonely Planet dédié aux femmes qui voyagent seules ? Il me semble que oui…)
Moi aussi j’adore voyager seule et je suis convaincue que c’est le seul moyen de faire des rencontres magiques et de vivre pleinement son voyage. Je raconte mon periple au Brésil: http://umagirlnobrasil.tumblr.com/
Pitiéé.. dites-moi que j’aurais suffisament de courage pour partir également. C’est vrai que ca fait peur mais.. nous n’avons qu’une vie et je ne peux me resoudre a ne pas partir parce que je suis trop jeune et puis surtout que je suis une fille!
Merci for sharing! My name is Cailin and not Camille though 😉
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Merci beaucoup pour cet article super motivant! L’envie ne me manque pas mais le courage si… (et surtout plein de raisons que je trouve pour ne pas partir). J’aimerais commencer par un séjour de 3 semaines au Canada (je suis belge) pour améliorer mon anglais. Pourrais-je savoir ce que tu as fait comme “formule” exactement pendant ton mois à Vancouver pour pratiquer ton anglais? Je ne cherche pas spécialement des cours (fort cher) mais un environnement dans lequel je pourrais pratiquer la langue tous les jours. Y a-t-il des villes à conseiller en particulier? Merci pour tes conseils! Et merci pour cette belle source d’inspiration 🙂
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