Il me faut toujours un moment pour digérer l’Afrique. Autant, pour moi, l’Asie va de soi, autant l’Afrique est contre nature. Vous savez quand on allume la lumière de la salle de bain au milieu de la nuit? L’Afrique me fait un peu cet effet. J’ai chaque fois besoin d’un moment pour m’habituer à sa lumière.
Il y a l’air. Si sec que j’ai l’impression d’avoir un désert dans les poumons.
Les épices, les condiments, les textures. Je peux tenter d’ouvrir mon esprit, mais mes papilles, elles, restent fermées à certains goûts. Le nététou? Aussi repoussant pour moi que l’était le tofu puant à Taïwan. Le gumbo? Je grimaçais à sa seule vue lors de mon premiers séjour à Ouaga, à la fin des années 1990. Je ne suis pas parvenue à apprivoiser le dien non plus avec les années.
Il y a l’étrange rapport entre les mondes. Le mien, le leur; celui des hommes, des femmes et des enfants. Je ne sais jamais tout à fait où est ma place, à moi. Je ne suis pas blanche qu’à l’extérieur, que je le veuille ou non.
Mais il y a les individus, mot qui me semble étrange à prononcer dans un endroit où la communauté a une si grande importance. Leur chaleur. Leur humour. Leurs sourires.
Il y a ce ciel immense. Cette lune si grosse et si proche qu’on a l’impression qu’il suffit de tendre la main pour la toucher.
Ces ânes qui braient à tout moment, pour rappeler la distance entre soi et chez soi.
Ces plages désertes et ces poissons délicieux.
Cette impression constante d’être au croisement du début et de la fin du monde. Aux confins de l’horizon.
La nuit, il m’arrive souvent de me faire réveiller par un coq décalé ou un âne, justement. Il m’est alors impossible de me rendormir immédiatement. Je ne peux m’empêcher d’écouter la nuit. Je l’ai même filmée, une fois, pour pouvoir me rappeler les sons qui l’anime. Un jour, je ferai une courtepointe de tous les bouts de nuits glanés ici et là, au fil de mes pérégrinations.
L’Afrique ne m’habite pas comme l’Asie. Elle me hante.
C’est un fantôme qui me suit et m’effraie par moments. Je ne peux l’ignorer, sa présence est trop forte. Quand elle dessine des sourires sur mon visage avec ses doigts plein de poussière, pendant un bref instant, je me fous du début et de la fin des temps. Je fais partie d’un tout. Son tout. Il me suffit presque de tendre la main pour la toucher… Mais toujours, je la sens glisser entre mes doigts.
Insaisissable Afrique.
À lire également: Noël au Sénégal, Du coq à l’âne, Lecture et chocolat et 30 secondes à bord d’un clando.
19 Commentaires
Wow, un très beau billet…
Merci!
Quel beau texte! Merci de l’avoir partagé…
Merci de l’avoir lu! 🙂
Filmer la nuit, quelle belle idée! Les criquets, les grenouilles…
Au-delà des images et des odeurs, les sons d’un endroit me marquent beaucoup. Particulièrement la nuit…
Bel article, ça donne envie d’aller tenter sa chance, essayer d’aller toucher du doigt cette Afrique poussiéreuse et insaisissable !
Ah oui! Il le faut! 🙂 (Et merci!)
Elle a peut-être un côté plus primaire que l’Asie. Quand on est Occidentale, j’imagine que l’Asie est plus rassurante par sa discipline, son aspect plus “léché”. On cherche trop souvent à dompter ce qui nous paraît sauvage alors que parfois, on devrait se contenter d’admirer le tableau que la Nature nous offre 🙂
«Primaire» n’est pas le premier mot qui me viendrait à l’esprit. La discipline de l’Asie? Pas partout! Ce que j’aime le plus de l’Asie, c’est au contraire son chaos… L’Afrique vient me chercher à d’autres niveaux, pour d’autres raisons. Ce n’est pas parce que je ne m’y sens pas spontanément à ma place que je vais cesser de la découvrir, au contraire!
C’est vrai que l’Afrique a un coté intimidant bien que l’Asie grouille beaucoup plus. Pour moi l’Afrique, ce sont les gens. Une fois franchi le pas, j’ai adoré leur humour, et cette sorte de fausse nonchalance. J’ai longtemps été beaucoup plus attiré par l’Asie mais après avoir goûté à l’Afrique, j’y retournerai.
Étonnamment, avant de me mettre à bourlinguer, j’étais surtout attirée par l’Amérique latine. Le hasard a fait que j’ai posé le pied en Afrique d’abord (si on exclus quelques voyages éclairs en tout-compris au début de la vingtaine). En aurait-il été autrement si j’étais d’abord allée en Asie ou en Amérique latine? Je ne sais pas. L’Afrique porte aussi le poids de mes premiers véritables chocs culturels. Et de mes premiers chocs face à moi-même. J’y retournerai encore et encore, moi aussi surtout pour les gens. Pour ces paysages grandioses que je n’ai pas encore vus, aussi. Et pour la lune. 🙂
J’adore littéralement ce post ! Que du senti qui transporte loin ! D’après moi, le voyage dans un blogue c’est bien sûr le pratico-pratique (comment se rendre, quoi faire, combien $), mais c’est aussi, la particularité de ce qu’on y vit qui est propre à chacun. C’est la rencontre avec l’Autre, mais aussi la rencontre avec Soi.
Je me suis rendue compte que ce que je vivais à certains moments en voyage était si intense et si imprégné en moi qu’il était possible de se remémorer voire de revivre la sensation exacte à des kilomètres d’un endroit par la simple évocation d’un bruit, d’une odeur, d’une lumière particulière…et là, réapparaît cette sensation de l’ailleurs avec tout ce qui vient avec !
Quelle magie la mémoire par les (différents) sens!
Bref, j’aime ta réflexion !
Merci! C’est la même chose pour moi. Il me suffit d’une odeur ou d’un son pour revivre une émotion liée à une destination. Comme je l’ai récemment écrit à quelqu’un d’autres, certains clichés ont leur raison d’être. Je n’oublierai jamais la première fois où j’ai pris le temps de scruter le ciel africain, la nuit. Ce continent a beau exiger pour moi de nombreux efforts d’adaptation, j’en reviens chaque fois avec des étoiles plein les yeux et des dizaines de bons moments tatoués sur le coeur. 🙂
Voyager c’est confrontant et totalisant à la fois!
Amei seu blog Marie!
Beijo.
Bom para eu treinar o meu francês! 🙂
J’ai adoré les photos et ton texte rempli d’Afrique.
Que de sentiments dans cet article. C’est très bien écris et pourtant je suis tout l’opposé de toi. Pour moi, l’Afrique m’habite, me fait rêver, me fait vibrer. L’Afrique me rend libre et heureuse. Tellement heureuse que j’y habite maintenant depuis bientot 6 ans. Je suis arrivée un jour et jamais repartie. Afrique de l’Ouest, Afrique de l’est, Afrique centrale, Afrique australe…. on pense que l’Afrique Cest pareil partout. Mais non on se trompe. Cest tellement riche, diversifié et vivant. Qu’on l’aime on que l’a déteste .. l’Afrique restera toujours ce continent magique et envoutant.