Prendre le large

Le pirate qui aimait trop la mousse au chocolat

23 août 2013

 

–  J’avais une grosse crainte au départ, me confie Pierre Rivière, retraité qui voyage pour la troisième fois à bord d’un des navires de la Compagnie du Ponant. C’était de me retrouver avec des gens snobs. Les robes longues, les noeuds papillons…

M. Rivière n’est pas le seul. J’ai beau m’adapter assez bien à n’importe quel contexte, j’étais terrorisée à l’idée d’être constamment underdressed à bord de L’Austral. À un tel point qu’au moment de faire ma valise, je me suis dit: «tant pis, je prends le short de jean et les Converse». Et qu’après avoir fait «ouf», j’ai oublié mes plus jolies robes dans ma penderie…

***

Me voici sur un élégant navire en compagnie de 234 autres passagers, dont une forte majorité de Français. Je viens de passer deux longues minutes coincée dans un ascenseur, dans un musée (la frousse de rater le départ, je ne vous dis pas!), j’ai chaud, j’ai mal partout à force de trimballer les bagages et j’ai une blessure suintante au genou qui me fait sursauter dès que quelqu’un me frôle (ouille!). Je ne rêve que d’une chose: tester le matelas de ma chambre flottante pour les sept prochaines nuits. Une douche serait pas mal non plus. Et un bon repas, tant qu’à y être…

Tant qu’à y être, ç’a été. Pendant ces huit journées, j’engouffrerai plus de desserts que dans un mois entier à la maison.

***

– Eau plate ou pétillante? me demande Pitr, serveur indonésien qui se souviendra de mon nom pour le reste du voyage, mais jamais de mon penchant pour les bulles.

– Pétillante!

Derrière, un couple qui n’en est manifestement pas à sa première croisière avec la compagnie interroge le serveur à propos du poisson au menu. Ils ont l’air de sortir tout droit d’une page de Paris Match. La soixantaine avancée, bien bronzés, chevelures impeccables.

À la table voisine, j’aperçois une famille avec deux jeunes enfants. Le père me raconte avoir pris part à la croisière familiale l’année dernière. L’expérience a été suffisamment concluante pour que le quatuor récidive.

En balayant la salle du regard, je réalise que même si plusieurs familles sont à bord – c’est le thème de cette croisière – de nombreux couples ont l’âge de mes parents. Et de mes grands-parents. Il y a bien ce petit groupe de Japonais, là, qui semble un peu plus jeune… Mais.

Pendant la présentation des excursions, une femme aussi a levé la main quand le directeur de croisière, Frédéric Jansen, a demandé si une nationalité avait été oubliée dans la liste qu’il venait de débiter. «Burkina Faso!» a joyeusement crié Isabelle, dont je fais plus tard la connaissance. Maman d’une fillette de trois ans restée à la maison, elle voyage avec mon mari français. «Je suis aide-soignante», me dit-elle en me tendant sa carte d’affaires. Elle habite Marseille et n’a pas encore 30 ans. L’Afrique lui manque.

Même s’il est interdit de porter des shorts dans la salle à manger du Pont 2, où je me trouve (oups!), personne ne pourrait être confondu avec un acteur en nomination aux Oscars. Mis à part un garçonnet qui la portait fièrement par-dessus un t-shirt, je ne verrai pas de cravate pendant mon séjour.

***

C’est clair, j’étais marin dans une autre vie. Mieux: pirate! Mais une fine, hein. Une «Robine des mers» avec une épée.

Et une crinoline. Il me semble que je botterais mieux les culs avec une crinoline.

***

Si calme les premières heures, la mer s’amuse à tester les limites des passagers. Certains ont pris la couleur de la crème pistaches dégustée plus tôt (hum! J’en reprendrais bien). Moi, j’ai un sourire en coin. À  l’abordaaaaaaage!

Vous dire à quel point je dors bien cette nuit-là! Et la suivante, alors que la mer semble encore plus déchaînée. D’ailleurs, mes problèmes d’insomnie sont restés au port. Le bercement des vagues me fait roupiller comme un bébé.

***

– Je ne peux pas choisir!!!!!!

Pitr rigole. Je répète la même chose à chacun des repas. Résultat: je me fais des copains qui acceptent que je picore dans leur assiette.

Même si j’ai un faible pour le restaurant du Pont 2 (et sa carte des vins qui fait saliver! J’ai cessé de lire après avoir vu le prix de quatre bouteilles dans les trois chiffres – en euros. Dans mes rêves, Château d’Yquem!), le restaurant du Pont 6 – le buffet – a un atout indéniable: l’exposition de toutes les oeuvres d’art sucrée du chef-pâtissier. Je savoure la vue avant que ma pense – qui verra son élasticité mise rudement à l’épreuve en huit jours – décrète, comme le dit le dicton, que j’ai les yeux pas mal gros. Obèse, genre. Obèse MORBIDE.

– Je ne peux pas choisir!!!!!!

Chaque fois que je m’arrête au Pont 6, je ne choisis pas. Je remplis mon assiette de microportions de desserts. Plusieurs, microportions. L’île flottante, la tarte au chocolat, la tarte noix et caramel, le St-Honoré, la mousse au chocolat (ah! la mousse au chocolat!)…

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Ma vie à bord se résume à ceci: de longues parenthèses de digestion pendant lesquelles je rêve à la prochaine cargaison sucrée.

Heureusement, il y a des escales. Jamais assez longues pour que je puisse aller jogger, par contre (oui, il y a un gym sur le bateau. Mais moi, les gyms me motivent à peu près autant que je salive devant un plateau de crudités. Ça manque de oumf. Ajoutez un paysage à contempler ou une trempette bien assaisonnée et la motivation revient au galop). Mais au moins, les excursions arrivent à me détourner de la carte des desserts.

Pendant la visite du site archéologique de Delphes – mon plus gros coup de coeur du séjour -, je me fais la promesse solennelle de revenir approfondir la culture grecque le plus rapidement possible en contemplant le Temple d’Apollon. Aussi fascinée que moi, ma fille déclare ce jour-là vouloir devenir archéologue.

Sur l’île de Mljet, qui serait l’Ogygie d’Homère, je reste sans mots pour décrire l’émotion de marcher dans les traces d’Ulysse. Même si Calypso avait été un pichou, je comprends qu’il y soit resté sept ans (enfin, je parle pour lui, hein, parce que moi, même si j’ai trouvé l’endroit magnifique, j’aurais fait une overdose de calme après sept jours!).

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Mljet

À Poreč, je ne peux m’empêcher d’éclater de rire en entendant l’histoire de cet évêque, Euphrase, qui a demandé à être immortalisé près de la Sainte Famille dans la superbe mosaïque de son église. Man, pas de doute: s’il avait vécu aujourd’hui, il aurait été le roi des #selfie sur Instagram.

À Rovinj, j’achète une robe longue un peu gipsy. Oui, parce que je la trouve jolie. Mais aussi parce que la boutique dans laquelle je l’ai aperçue baigne littéralement dans l’Adriatique.  Un faux pas et plouf! dans l’eau!

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À Venise, je me prends plaisir à me perdre dans les ruelles étroites. Et je me retrouve les yeux dans l’eau en voyant le navire quitter le port sans nous…

***

– J’ai bien vu qu’il y a toujours deux ou trois excentriques, poursuit M. Rivière, qui a l’habitude de voyager avec sa femme Josette. Mais dans l’ensemble, c’est décontracté. Alors on a recommencé et on a pas l’intention de s’arrêter!

C’est exactement comme ça que je me sens en regardant le paquebot s’éloigner: je refuse que ce soit la fin! J’aime trop improviser pour me mettre à faire des croisières à l’année (et si on allait làààà? Et si on restait plus longtemps iciiiii?…), mais je pourrais facilement devenir accro à ce type d’expérience dans un bateau «à échelle humaine».

Et à la mousse au chocolat.

(Ah! la mousse au chocolat…)

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À Rovinj, Croatie

J’étais l’invitée de la Compagnie du Ponant. Merci! 

À lire également:  D’Athènes à Venise à bord de L’Austral et Narcissisme façon VIe siècle?

Pour lire mes textes sur EnTransit.ca (MSN.ca): 24 heures à Athènes avec un enfantRendre visite à Apollon, La vie à bord de L’AustralCroisière de luxe en françaisMa visite du Boréal.

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2 Commentaires

  • Répondre 8 jours en mer résumés en 15 clichés Instagram - Taxi-Brousse 23 juin 2015 - 15 h 05 min

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  • Répondre L'Adriatique en yacht privé... ou presque - Taxi-Brousse 13 octobre 2015 - 11 h 27 min

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