Je n’ai jamais voyagé avec mes parents. Sédentaires à l’extrême, ils mènent une vie paisible à la campagne, au Lac-St-Jean, qui leur convient parfaitement.
Mon désir d’ailleurs ne m’a pas été transmis. Je l’ai développé à travers les bouquins, la télé et le cinéma, puis, plus tard, en me nourrissant des récits des voyageurs que je regardais avec de grands yeux admiratifs.
Pour moi, voir du pays n’allait pas de soi. J’ai pris pas mal de détours avant de passer du rêve à la réalité. Moi, faire le tour du monde? Allons donc… Et si c’était possible?
Comme je l’ai raconté à plusieurs reprises, je me suis décidée à partir seule pour la première fois à l’âge de 23 ans, persuadée que j’allais y laisser ma peau (quoi ? On peut revenir vivant d’un voyage ? lol).
Je n’ai jamais arrêté.
Je ne suis jamais complètement revenue.
Si j’ai d’abord largué les amarres en solo un peu par dépit – allais-je attendre éternellement d’avoir des partenaires de route pour aller de l’avant ? – j’ai rapidement pris goût aux escapades improvisées. Aller là où j’en avais envie, quand j’en avais envie. Foncer dans l’inconnu, quitte à prendre des chocs culturels plein la gueule. Au bout du monde, au bout de moi-même. Un cliché gros comme la Terre. Gros comme ma Terre…
Ce cliché, je le chéris et l’astique depuis avec une dévotion sans borne. Je refuse de me voir comme une voyageuse aguerrie. Je veux garder ma capacité d’émerveillement. Ne jamais oublier ce moment où, barbouillée de chocolat sous la pluie, à Lisbonne, j’ai souri pour la première fois à un inconnu qui venait de me faire comprendre que les rigoles brunâtres n’étaient pas que sur mes doigts, mais aussi sur mon menton. Ne jamais oublier cette première bouffée de bonheur intense que je n’ai su nommer que bien plus tard : liberté. Si simple. Si brute. Il m’avait fallu traverser un océan pour l’effleurer enfin.
Je ne me sens jamais aussi bien que sur la route. Je l’ai souvent dit, écrit. J’aime sentir le vent sur ma peau et cligner des yeux parce qu’il souffle trop fort. Découvrir un nouveau paysage en les ouvrant. Puis un autre. Et, à nouveau, voir son reflet dans un regard croisé au hasard. Liberté, encore et toujours… Ce n’est pas la fuite qui me grise ainsi, mais bien le vide dans lequel j’ose me jeter, chaque fois.
J’ai aimé passionnément voyager seule. Mais ces moments se font plus rares depuis quelques annés. À cause de la nature de mon travail, qui fait en sorte ce que voit souvent du pays en compagnie de collègues, mais aussi parce que je suis la maman d’une fillette de sept ans à qui j’ai envie de transmettre mon amour du voyage. Mon amour du monde.
Elle avait à peine quelques mois la première fois que nous avons fait le trajet Montréal-Chambord en train en famille, puis en bus. Elle a fait ses premiers pas à Disney World. Alors qu’elle était âgée d’un an et demi, nous avons mis le cap sur Taïwan, où j’avais fait la connaissance de son père cinq ans auparavant. Un mois plus tard, nous survolions le Canada entier tous les trois, de Montréal au Yukon, en passant par les Maritimes et Terre-Neuve. À trois ans, elle était montée à bord de 25 avions. Quatre ans plus tard, il y a longtemps que j’ai perdu le fil… Elle a foulé le sol de quatre continents.
Difficile, voyager avec un enfant? Parfois, oui. Mais souvent, c’est à travers ses yeux à elle que je renoue avec ma vieille copine. Les enfants sont les êtres les plus libres qui soient. Les barreaux, ce sont souvent nous qui les érigeons. Certains sont nécessaires, remarquez…
Quelque part sur les routes de France, en la voyant écarquiller les yeux alors qu’elle n’avait même pas trois ans, j’ai compris que j’avais déjà accompli une partie de ma mission. Ce jour-là, toutes les deux, nous avions le visage barbouillé de chocolat…
Reste maintenant à garder intacte sa capacité d’émerveillement. Est-ce possible, quand voir du pays va de soi ?
P.S. : Ce n’est pas vrai, j’ai déjà voyagé avec mes parents : nous sommes allés à Québec en famille à au moins deux reprises ! lol
(Une première version de ce billet a été publiée sur le défunt blogue EnTransit.ca le 11 octobre 2009.)
À découvrir également: Du coq à l’âne (Sénégal en famille), Ma première fois à Broadway, Une nuit au légendaire Plaza hotel, La vie à bord de L’Austral, Rendre visite à Apollon, d’autres billets sur les voyages en famille.
6 Commentaires
Alors on se ressemble beaucoup! Ayant grandi dans une famille assez typique, j’étais la seule à être émerveillée par les gens de cultures différentes de la mienne. Je voulais en savoir plus, les écouter; je voulais voyager pour comprendre le monde. Pourtant, ça m’a prise une expérience proche de la mort pour me faire revenir à cette idée qu’un jour, je ferais le tour du monde. À 39 ans, le 14 février, j’ai enfin acheté mon premier billet pour mon premier voyage en solo. Je t’écris en direct d’Alanya, en Turquie. Le monde est merveilleux si on choisit de le voir ainsi. Bonne route et bon voyage!
Karine
P.S. Je suis aussi du Lac St-Jean. 🙂
Beau et touchant billet…
C’est une question très d’actualité de mon côté: pourrai-je voyager encore comme il me chante si je deviens maman?… Je lis ici un beau bout de réponse, merci 🙂
Merci! 😉
c’est très beau et tellement vrai.
cela me rassure sur mes futures envies ( de voyage et de bébé 🙂
Dis donc il est joli cet article. Ça vient du cœur et ça se sent. J’aime beaucoup.