De vieilles photos pêle-mêle au fond d’une boîte. Des cartes d’embarquement de compagnies aériennes qui n’existent même plus. Un souvenir. Celui de la chaleur qui prend à la gorge sur le pas de la porte de l’avion. Un autre. Le sable. Pas aussi orangé qu’on me l’avait décrit, mais omniprésent. Le sable comme une fine pellicule de poussière sur les mois qui suivront… Quelques photos et me voici en 1999.
Je n’ai pas aimé l’Afrique tout de suite. J’avais la phobie du palu, des amibes, de la religion, des superstitions, de ma blancheur parmi toutes ces peaux d’ébène. J’ai bien eu quelques discussions musclées – comment réagir quand un homme raconte avoir battu sa femme «parce qu’elle le méritait» avec désinvolture ? -, quelques maux de ventre et un petit rhume. Mais rien qui vaille la peine d’être évoqué dans mes mémoires.
Je dis souvent que je n’ai pas «vécu» ce premier voyage en terre africaine. Je sentais le fossé si grand entre mon monde et celui des Burkinabè que je ne m’imaginais pas avoir la force nécessaire pour sauter assez loin et atteindre l’autre rive. Je n’ai pas «vécu» ce premier voyage parce que je ne me suis pas donné le droit à l’erreur. Le droit d’être une simple fille de 24 ans avec beaucoup plus de questions que de réponses. Je me suis foutu un imperméable sur le coeur, histoire de ne pas laisser atteindre par toutes les images de misère le couler et me voiler les yeux. J’avais dans la poitrine un navire blindé.
Et puis, il me fallait filmer. J’effectuais officiellement un stage de vidéoreporter. Mon mandat: tourner des reportages touchant de près ou de loin à la coopération internationale. Après m’être procuré un permis de tournage (une épopée!), filmé par mégarde un bâtiment militaire (ce qui est prohibé – impossible d’oublier le Kalachnikov en bandoulière du soldat qui est venu m’interroger… Ayayaye!) et m’être fait huée près du grand marché alors que je faisais quelques plans larges («Tu ne peux pas nous filmer!» «Combien tu vas nous payer?» «Vous les colons vous croyez tout permis!»…), je suis restée enfermée quelques jours chez le coopérant qui m’hébergeait.
Quand j’ai finalement osé remettre le nez dehors, voici ce que j’ai vu.
La femme dans la voiture, c’est la chauffeuse de taxi qui m’a conduite pendant presque toute la durée de mon séjour. La porte transportée sur une mobylette est un exemple des trucs inusités que j’ai aperçus sur ces engins. L’éléphanteau s’appelait «Whoobi» et avait été recueilli par un Français (une histoire merveilleuse qui est devenu le sujet d’un de mes reportages destiné à la défunte émission Le Petit Journal). La photo du bas, c’est mon look après plus de deux mois au pays… Pour l’anecdote, j’ai conservé les tresses pendant à peine une semaine tant la douleur était intense. Et je vous jure que la pancarte «Interdit d’uriner» est authentique !
Je n’ai pas «vécu» l’Afrique pendant ces trois mois au Pays des hommes intègres. Par contre, j’ai compris une chose essentielle: que nos évidences ne sont pas forcément celles des autres. Que la morale est bien relative. Et que personne n’a le droit de condamner qui que ce soit sous prétexte que sa morale, justement, est «la meilleure»…
(Une première version de ce billet a été publiée dans le défunt blogue EnTransait.ca de MSN.ca le 30 janvier 2010.)
À lire également : Insaisissable Afrique de l’Ouest, Les marchés africains, pas reposants mais fascinants, Noël au Sénégal, Du coq à l’âne, Lecture et chocolat, 30 secondes à bord d’un clando, Souvenirs d’Afrique.
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10 Commentaires
Un “imperméable sur le coeur”, j’aime beaucoup l’expression 🙂 Je pense qu’on est beaucoup à procéder de la sorte lors de nos premiers voyages, surtout si le choc culturel est important. Après coup, on fait éventuellement un peu les malins, mais ça, c’est après !
Pas facile les photos au Burkina en effet. J’ai eu droit plus d’une fois à des réactions un peu hostiles. Quand on est habitué à la facilité que l’on rencontre en Asie pour cet exercice, ça surprend un peu. Et puis on s’adapte, on en prend moins. Évidemment, si c’est le but du voyage, c’est plus délicat !
Tiens, tu me donnes envie d’y retourner du coup ! Bonne arrivée 🙂
Merci! Le Burkina est le premier pays où j’ai passé plus d’une semaine. Disons que pendant ces trois-moi, j’ai beaucoup appris! Après, l’Asie m’a semblé tellement simple! 🙂
Je me souviens “la chaleur qui prend à la gorge sur le pas de la porte de l’avion”; j’en croyais pour ma part que j’avais la tête dans le réacteur ! Merci pour cette réminiscence qui me fait sourire maintenant que je suis retournée de très nombreuses fois dans différents pays africains en ayant appris aussi à les différencier (car il y a autant de dissemblances entre un peul sénégalais et un bantou malawite qu’entre un breton et un kazakh mongole)
La tête dans le réacteur, c’est presque ça! :-))) Bien sûr qu’il y a de nombreuses dissemblances entre tous les peuples africains! C’est d’ailleurs ce qui rend ce coin du monde aussi fascinant qu’insaisissable…
Des très beaux pays en Afrique, et surtout les pays du nord d’Afrique comme le Maroc
“Nos évidences ne sont pas forcément celles des autres.” Tellement juste. Et sacré look, j’adooore. Je n’en reviens pas que tu aies conservé les talons des billets d’avion…
Je n’en revenais pas non plus quand je les ai retrouvés! Disons qu’il y a longtemps que j’ai cessé de les collectionner… 😉 Merci!
Alors que je rentre à peine de Namibie et que j’ai le nez dans mes photos depuis 2 jours, bang! ton texte apparaît sur mon fil. Je ne réussis pas à décrire ces émotions ressenties lorsque je suis débarquée au Mali en juin pour le boulot et il y a 3 semaines en Namibie pour le plaisir. Cette Afrique me saisit aux tripes. Aucun autre pays n’a provoqué la même réaction au contact des gens. Pour la beauté des paysages, de la faune, seule l’Argentine peut s’y apparenter.
[…] Je sors du bus. Un homme s’empresse de m’offrir du mouton-oignons avec supplément de mouches. Je me rappelle soudainement Ouaga, son grand marché, ses viandes aux odeurs pestilentielles et ses bestioles volantes… Ça, […]
[…] l’ai souvent écrit : voir du pays a été pour moi une grande leçon d’humilité. En remettant en question mes certitudes, le voyage m’a enseigné à ne jamais rien prendre pour acquis. À ne pas juger, non plus. […]