Mon sujet d’aujourd’hui, à l’émission de radio Les Éclaireurs : « être une fille en voyage » (pour entendre la chronique, par ici !). Un thème qui me tient à coeur, mais que je trouve particulièrement délicat à aborder, comme je l’ai mentionné d’entrée de jeu.
Peu importe par quel bout on le prend, on peut rapidement passer du « Oui, voyagez les filles et montrez ce que vous avez dans le ventre ! » quand tout va bien à « Franchement, une fille qui voyage cherche le trouble » dès qu’un pépin se présente. Quand il s’agit de liberté au féminin, tout semble lié à des questions de perception, d’éducation, de génération, de contexte, de culture et d’une certaine part de chance ou de malchance. Bref, délicat, je disais.
Une chose est sûre : les femmes n’ont jamais autant voyagé. Dans un monde idéal, nous pourrions bourlinguer sans devoir affronter tous ces regards qui s’écarquillent à la seule mention d’une destination exotique (quand nous ajoutons que nous partons en solo, on a parfois l’impression que les yeux de nos interlocuteurs sortiront carrément de leurs orbites). Dans la vraie vie, en plus des points d’interrogation et des points d’exclamation qu’on rencontre constamment chez autrui, la sécurité reste une préoccupation constante.
On oublie JAMAIS qu’on est une femme (de toute façon, si on oublie, on ne se gêne pas pour nous le rappeler). Peu importe comment on se définit chez nous, à l’étranger (dans certaines cultures plus que d’autres), on se « rappelle » qu’on est un sexe avant même d’être quoi que ce soit d’autres dans le regard des autres. On prend conscience de certaines choses auxquelles on ne porte pas attention dans notre quotidien. Est-ce une mauvaise chose ? Pas forcément.
On ne débarque pas quelque part avec nos gros sabots d’étrangère libérée, non plus. Se balader en Inde avec une minijupe et une camisole à bretelles spaghetti ? De la pure inconscience ! Aussi paradoxal que cela puisse paraître, on ne voyage pas pour « changer le monde » ; du moins, pas en affichant le plus de peau possible pour montrer que « nous, on peut ». On risque seulement de s’attirer des ennuis ! Qu’on soit d’accord ou pas avec nos constats, le voyage n’est pas le contexte idéal pour revendiquer des choses dans des sociétés qui ne sont pas les nôtres, dont on ne comprend pas tous les codes et, je dirais même, l’histoire. (Bien sûr, la manière et la relation avec l’interlocuteur jouent aussi.) Là-bas, l’étranger, c’est nous. Ne l’oublions pas !
Il y a aussi une question de respect et d’ouverture. L’ouverture, c’est relatif, hein. Nous, on trouve les gens de certaines cultures fermés de ne pas accepter nos comportements ; eux nous trouvent fermés de ne pas les respecter comme on le devrait.
S’il y a une chose que j’ai apprise à force de voyager c’est d’essayer de me mettre à la place de l’autre en imaginant comment il perçoit les choses selon ses codes à lui, mais encore plus d’arrêter d’essayer de comprendre à un certain point, parce que c’est parfois impossible. Voyager, c’est aussi apprendre à lâcher prise quand nécessaire et comprendre l’importance des nuances.
Ma vérité est-elle meilleure que la tienne ?
Ça fait joli, dit comme ça. Mais en réalité, c’est une vraie question qui revient constamment quand on réalise la taille de certains fossés culturels. Pas toujours facile de garder certains commentaires pour soi. Notre vérité nous apparaît tellement plus… vraie.
Mon exemple le plus extrême est probablement celui de ce Burkinabè avec qui je discutais régulièrement et qui m’a raconté, un matin, tout bonnement, avoir battu sa femme parce qu’elle méritait. Forcément, j’ai grimpé dans les rideaux. Je lui ai dit que dans ma culture, ce n’est pas quelque chose qui est acceptable (et plusieurs autres phrases beaucoup moins sympathiques).
En constatant dans ses yeux le gouffre qui nous séparait, plus je parlais, j’ai compris que mon petit laïus ne mènerait nulle part. Ma vérité n’était pas la sienne et ne le serait jamais. Est-ce une raison pour se taire ? On pourrait en débattre longtemps. Mais une chose est sûre : on a pas été « configurés » pour se comprendre d’emblée.
Le voyage est la plus grande leçon d’humilité. On redevient comme des enfants dans une culture étrangère. On ne comprend plus le monde qui nous entoure. Nos repères foutent le camp. Ce constat est encore plus « confrontant » pour une femme car son rôle est parfois réduit à pas grand chose dans certaines cultures.
C’est parfois encore plus complexe qu’on le croit au départ : au Burkina, justement, j’ai vu des associations de femmes se battre becs et ongles pour des causes et d’autres diriger des entreprises de main de maître. Comment, alors, se peut-il qu’un homme batte ça femme et que ce soit « NORMAL » au point qu’il le raconte de manière aussi banale ? Bref, ce n’est pas simple de s’y retrouver pour quelqu’un de passage. Même après plusieurs voyages en Afrique (dont trois mois au Burkina Faso) et en Asie (dont 18 mois à Taïwan), j’ai beaucoup plus de questions que de réponses. Cela fait d’ailleurs partie des raisons pour lesquelles je ne cesserai jamais de voyager. Pour m’ouvrir le crâne. Constater l’étendue de mon incompréhension, mais avoir envie de continuer à chercher. Toujours.
Et si on faisait de nos faiblesses nos atouts ?
Plusieurs globe-trotteuses ont appris à se servir de notre supposée vulnérabilité et à en faire un atout. On fait moins peur qu’un mec ! C’est un plus pour celles qui font de l’autostop, par exemple. Les gens nous invitent plus spontanément chez eux pour la même raison.
Des blogueuses ont écrit sur le sujet. Je me souviens entre autres de ce billet de NowMadNow intitulé Voyager seule autour du monde : am I a free bitch ? En résumé, son point de vue : « Ca m’énerve les sites des filles qui voyagent qui se plaignent d’être des filles »…
Destinations à conseiller / à éviter
Le choix d’une destination dépend bien sûr de nos intérêts, mais aussi de notre capacité d’adaptation et de nos limites. Personnellement, j’aime beaucoup voyager en Asie (surtout dans les pays bouddhistes). Le taux de violence est bas. La criminalité est quasi-inexistante dans certaines contrées. Au Japon par exemple, on peut laisser son sac à main ouvert à côté de soi dans le métro et jamais quiconque n’aura l’idée de plonger sa main pour voler quoi que ce soit.
Pour une femme, pouvoir se balader en plein milieu de la nuit dans une ville seule, sans craindre quoi que ce soit, est un sentiment extraordinaire. J’ai eu l’occasion de vivre à Taïwan pendant un an et demi et c’était l’un des aspects que je chérissais. Par contre, ça m’a pris un bon deux mois de « déprogrammation » pour en arriver à me promener sans constamment être à l’affût du moindre son et à avoir des yeux tout le tour de la tête.
Les endroits à éviter ? Ceux où on ne se sent pas à l’aise, tout simplement ! Là encore, je ne crois pas qu’il faille tout rejeter en bloc. Évidemment, je ne conseillerai jamais à personne de se rendre dans une zone de guerre ou à risques.
La clé : s’informer. Pas pour se faire peur : pour se faire une meilleure idée. Pour se tester, avant même de décider. Ensuite, on se renseigne bien sûr sur la manière de se vêtir, sur les relations hommes-femmes (des choses aussi basiques que savoir si on peut regarder un homme dans les yeux ou pas), les comportements à adopter ou à éviter. Se surinformer n’est pas mieux non plus, si vous voulez mon avis. Mais bon, il y a quand même un minimum. Posez des questions !
Se trouver des alliées dans les pays qu’on visite est aussi une bonne stratégie. Rien de mieux qu’une femme pour bien conseiller une autre femme. Partir avec un réseau de contacts est une bonne idée, mais sur place, ne pas hésiter à aller à la rencontre des femmes « locales ». De mon côté, j’ai souvent eu le réflexe de faire des bouts de route avec des « grands frères » rencontrés ici et là, lors de mes voyages en solo. Entre voyageurs, il y a généralement une belle solidarité.
Surtout, se fier à son instinct. J’ai réalisé des dizaines d’entrevues de fond avec de grandes voyageuses qui ont bourlingué dans toutes les conditions possibles au fil des ans et elles me disent TOUTES la même chose : quand on sent quelque chose, il faut s’écouter. Notre flair nous trompe rarement. Il faut donc se faire confiance avant tout.
Le voyage amène ça, d’ailleurs : une meilleure connaissance de soi et de ses limites, mais aussi une grande confiance en soi et en la vie (ça sonne new age, mais c’est vrai !). Il y a toujours des solutions.
Ayez la foi, mes sœurs ! 😀
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10 Commentaires
C’est vrai qu’on parle toujours d’être une fille en voyage, et je suis tout à fait d’accord avec toi sur l’ouverture d’esprit, etc, mais franchement ça vaut pour les hommes aussi, eux aussi doivent s’ouvrir l’esprit et ça en choquerait plus d’un aussi j’espère qu’un mec raconte banalement qu’il frappe sa femme!
En fait pour moi être une fille en voyage, c’est la même différence qu’être une fille tout court. En effet, on nous voit pour notre sexe avant tout mais qu’on voyage ou pas. J’imagine que dans des temps plus anciens chez nous, ou actuellement encore dans d’autres pays, on disait “mon dieu, une femme qui va travailler, ou une femme qui conduit, ou une femme qui joue au foot, bizarrre, dangereux” etc. C’est l’évolution, bientôt une femme qui voyage, ce sera aussi normal qu’une femme qui travaille. Enfin bien sûr, ça dépend vachement du pays, de la culture et de la religion.
Comme tu l’auras sans doute remarqué, au Québec, on sent très rarement les regards… 😉
Trèèèès intéressant cet article Marie-Julie, je pourrais dire +1 à chaque paragraphe 😀
Merci!
“On oublie JAMAIS qu’on est une femme (de toute façon, si on oublie, on ne se gêne pas pour nous le rappeler).”
J’ai vécu dans ta parenthèse de 2002 à 2009 (oh bliss…), refusant jusque là de faire des conférences sur le voyage au féminin parce que… “je ne voyage pas au féminin, moi !” Jusque là, oui j’avais conscience d’être une femme, mais pas plus que dans ma vie de tous les jours. je ne comprenais pas pourquoi tout le monde en faisait un plat… Je suis parfois dure de comprenure 🙂
Je comprends ce que tu veux dire. Je pense aussi que c’est TRÈS culturel, très québécois comme façon de voir les choses. 😉
Article très intéressant ! 🙂
Très bon article qui a réveillé quelques souvenirs. Notre fille a fait un tour du monde en solo à 25 ans (pendant 7 mois). Ça incluait des pays comme l’Afrique du Sud et l’Inde entre autres. Pas nécessairement évident pour papa-maman de savoir que notre fille va rester une semaine à Soweto. Par contre, j’avais confiance dans son jugement et qu’elle éviterait de se mettre en danger. C’est ce qui est arrivé. Curieusement, je penses que j’étais plus inquiet quand son frère avait voyagé comme ça à 18 ans. Je pensais plus que lui était à risque. À 18 ans, les gars, on est invincible. Il a finalement eu plus de mésaventures qu’elle même si tout a bien été dans l’ensemble. À conseiller à tous les jeunes.
P.S. Par hasard, hier, elle m’a dit qu’elle vous invitait à venir en Abitibi depuis 2 ans (elle travaille chez Tourisme-Abitibi). Vous verra-t-on bientôt ? 🙂