La semaine dernière, j’ai pris part à une table ronde sur le voyage en solo à l’émission Médium Large en compagnie de la journaliste Anne Pélouas, de l’animatrice de radio Manon Lépine et de Jean-Sébastien Mercier, guide touristique.
Mère de deux filles*, Mme Lépine part seule chaque année. « C’est plus qu’un choix, c’est un besoin, dit-elle. Ça faisait partie des conditions sine qua non quand j’ai formé une famille avec mon conjoint. Une fois par année, je n’existe plus, je ne suis plus là, je n’ai plus de rôle. »
Près de 30 ans plus tard, elle poursuit sa tradition. « Avec les années, j’ai réalisé que je ne voyageais moins que je ne pars. Je voyage avec mon conjoint, avec la famille et avec les amis, mais quand je pars seule, je pars, insiste-t-elle. C’est un contexte, un environnement, un encadrement que je choisis en fonction de ce que je ressens et de ce que j’ai envie de ressentir. »
Pour elle, pas question de jouer les exploratrices lors de ces escapades en solo : elle opte pour des destinations où la préparation n’est pas nécessaire. Le jour de la table ronde, elle partait par exemple pour une île italienne.
Solitude et « parentitude »
« C’est très rare qu’on soit seul, sauf si on le décide », croit pour sa part Anne Pélouas, qui voyage surtout en solo pour le travail.
Quand elle est choisie, cette solitude prend des allures de plaisir coupable. Ne parler à personne quand on a envie de rester dans sa bulle est un luxe délicieux, particulièrement quand on est constamment entouré de gens chez soi. À l’inverse, si l’on souhaite s’immerger dans une culture, partir seul facilite les rencontres, comme l’a souligné Jean-Sébastien Mercier, adepte de couch surfing.
Comme Anne, je voyage beaucoup pour le boulot. Depuis quelques années, mes escapades en solo sont souvent liées à mon travail. Mais même sans le prétexte pro, je sais que je ressentirais le besoin de m’offrir une dose de solitude de temps en temps. Des réminiscences de mes dix premières années de vie alors que j’étais enfant unique, sans doute.
Tout le monde vit la maternité ou la paternité à sa façon, selon sa personnalité, son bagage de vie et son éducation. Pour ma part, je savais très bien dans quelle aventure je m’embarquais quand j’ai décidé d’avoir un enfant, étant devenue grande soeur à 10 et 13 ans. J’avais toutefois négligé de légers détails : mon incapacité à lâcher prise, même si le voyage m’avait appris à jeter du lest au fil des ans, et l’éloignement géographique de nos familles. Ne pas avoir de « back-up » ajoute une pression énorme.
Pendant les deux premières années de vie de ma fille, j’étais intensément sa mère. Je l’emmenais partout, tout le temps. L’idée de la quitter plus d’une heure me rendait complètement folle. Cette relation fusionnelle m’a autant apportée qu’elle m’a vidée. Ajoutez à cela deux déménagements, dont l’un après avoir vécu près de cinq mois avec des voisins fous (je ne calcule pas le nombre de nuits blanches à cette époque) et vous avez devant vous une mère au bord de la crise de nerfs.
La première fois que je suis partie seule après être devenue mère, c’était le temps d’un week-end à New York, un mois avant le second anniversaire de ma puce. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps, mais j’avais besoin de ces deux jours juste à moi. D’un peu de distance pour reprendre mon souffle et retrouver le fil de cette vie à jamais chamboulée par la maternité.
Quelques mois plus tard, j’ai pris part à une tournée de presse d’une semaine en Jamaïque. Mis à part une nouvelle peur panique de mourir dans un écrasement d’avion (l’idée que ma fille grandisse sans moi était obsessionnelle – je commence à peine à me calmer à ce sujet, d’ailleurs, dix ans plus tard), tout s’est bien déroulé. J’ai recommencé à voyager peu à peu pour le boulot, jusqu’à atteindre un rythme d’une dizaine de voyages par année depuis six ou sept ans, le plus souvent sans mes proches. J’ai trouvé mon équilibre dans cet espèce de déséquilibre et j’ai renoué avec la curiosité qui m’a toujours animée.
Au-delà de l’aspect professionnel, ces voyages ont bien sûr eu un impact majeur sur ma vie personnelle. Le recul me permet de réaliser aujourd’hui que si cette vie comporte son lot de désavantages, les avantages sont plus nombreux qu’on pourrait le croire a priori.
Je suis persuadée que ces moments de séparation sont bénéfiques à mon couple et contribuent à forger l’esprit libre et indépendant de ma fille. Que mon mari respecte mon besoin d’espace même s’il ne le comprend pas reste pour moi la plus grande preuve d’amour. N’empêche, la culpabilité m’a longtemps suivie comme une ombre.
Quand je regarde autour de nous, je constate que bien des enfants vivent entre les deux maisons de leurs parents séparés. Chez nous, c’est Maman qui part souvent pour le boulot, mais elle revient toujours.
Me jugerait-on de la même manière si j’étais le père ? Car oui, j’ai parfois senti le poids du jugement d’autrui, même si j’ai également perçu de l’envie…
Ma fille a appris à composer avec les absences de sa maman – la plupart du temps de moins d’une semaine – et moi, à rester présente même quand je suis loin physiquement (merci à Skype, wifi et aux forfaits de téléphone moins faramineux qu’avant).
Bien entendu, ces réflexions sont aussi des pistes pour tenter d’apaiser ma conscience. Plus que jamais, à dix ans, ma puce me reproche de partir trop souvent sans elle. Non, l’équilibre des uns n’est pas forcément celui des autres. Et la dernière chose que je souhaite, c’est bien que mes choix fassent souffrir ceux que j’aime. De nouveau, je remonte sur le fil de fer…
Alors, peut-on voyager en solo même en étant parent ? Je réponds que si désiré, ce privilège devrait être accordé de temps en temps. Mon cas est bien sûr extrême, mais je pense que s’offrir un moment à soi, ne serait-ce que quelques jours par an, est bénéfique autant pour soi que pour l’entourage.
Ce tête-à-tête avec soi-même permet de faire le point. De s’offrir une grande bouffée de liberté. D’être égoïste pendant quelques jours. Au retour, on revient l’esprit apaisé et on apprécie encore plus la chance que nous avons d’être si bien entouré.
* Manon Lépine est la maman de la chroniqueuse et recherchiste Eugénie et de l’actrice Magalie Lépine-Blondeau.
12 Commentaires
Intéressant ton article. N’étant pas maman, dur de répondre mais en tout cas dans le couple j’ai besoin de partir seule régulièrement, qu’on ait chacun notre espace, c’est quelque chose de tellement nécessaire à mon bonheur que je pense qu’avec un enfant ça ne disparaîtra pas (mais je culpabiliserais surement beaucoup plus en effet). On est tous différents là-dessus mais je sais que j’ai besoin de petits moments de solitude, plus que la moyenne sans doute.
Mon papa partait souvent en voyage quand j’étais enfant, j’aurais voulu le suivre parce qu’il me manquait bien sûr mais surtout parce que j’étais un peu jalouse et très curieuse. Mais quand il rentrait il prenait le temps de me raconter et avait toujours un petit souvenir pour moi, il arrivait à faire d’une contrainte un bon moment et je soupçonne que ça a contribué à mon amour du voyage. Le tout c’est de trouver le bon équilibre.
Je n’ai jamais voyagé en solo (pas encore, du moins), même avant d’avoir des enfants. Une fois la marmaille arrivée, on a fait des choix de vie familiale qui impliquaient que je sois près, et c’était correct ainsi, puisqu’il s’agissait d’un choix et de notre mode de vie.
Je suis partie en congrès 2 jours alors que mon dernier avait 2 ans, mais jamais beaucoup plus longtemps (on ne comptera pas les deux semaines à dépérir d’une mononucléose chez ma mère comme des vacances, hein!). Les trois bien enlignés en âge, 4 déménagements, un changement de carrière, et deux voyages de 6 et 11 mois à travers tout ça, je me suis sentie bien occupée durant ces années de petite enfance… D’autant que papa, lui, voyage souvent pour le travail (le monde à l’envers chez nous).
Mais voilà que le désir de partir seule fait surface (ce qui n’a jamais été le cas, même pré-enfant). Je planifie un roadtrip de 5 jours à la fin mai et l’idée de partir 1 ou 2 semaines loin loin fait son chemin dans mon esprit… Je me dis qu’une fois le petit dernier « plus à la maison » (à l’école), j’en profiterai bien et me mettrai au voyage solo. Compostelle me fait envie aussi.
Je ne pense pas qu’il y ait de réponse définitive, il n’y a que des envies qui surgissent à différents de la vie à écouter, tout en tentant de faire du mieux qu’on peut pour que les autres soient bien avec nos choix. Chose certaine, une fois en passant, ce n’est vraiment pas de l’abus! 😉 Bon trip!!!!
On ressort cet article des boules à mites (bon, pas tant que ça! hihi). Et je relis l’article, et mon commentaire, et je me retrouve, l’année suivante, à maintenant avoir goûté au voyage sans enfants exactement un an après mon commentaire. Le p’tit dernier n’est plus à la maison et j’en suis à planifier ma prochaine escapade… Papa a commencé à faire de même (malgré ses 60 000 voyages d’affaires par année) et franchement, je crois qu’une petite tradition est en train de se forger. 🙂
Haha! C’est super, ça!!!!!! 😀
Ça fait du bien de lire l’expérience des autres. Ça permet de relativiser. J’ai eu à réfléchir à ce genre de question dernièrement. Je me suis fait offrir un contrat de deux mois au Rwanda (où je rêve d’aller depuis des années). Mais le type de contrat ne permettait pas que j’emmène ma fille de presque 3 ans. Depuis que j’ai eu ma fille, j’ai très peu voyagé et ça me manque énormément. Mais la
laisser pendant 2 mois? Une semaine, sans problème. Deux semaines, ça va. Trois semaines, ça va encore. Un mois?… hum, la réponse n’est déjà plus aussi évidente. Bref, j’étais incapable de la laisser pour deux mois et j’ai refusé le contrat. Et maintenant j’ai envie de voyager plus que jamais! Et je peux très bien comprendre le désir de partir en solo… même si j’adore faire des activités avec ma petite fille.
Comme je comprends! Deux mois, je ne pourrais pas non plus. Même un mois. Des voyages d’une semaine ou deux, j’en refuse constamment. Les enfants grandissent. Je me dis que ce n’est que partie remise, alors que l’enfance ne reviendra pas.
Hello Marie-Julie. Aaaaah…enfin un article où l’on traite de ce sujet (et qui peut paraître un peu comme “tabou”). Je dis “tabou” car il y a quelques semaines je suis partie près de 15 jours en Afrique, toute seule, sans ma fille et mon conjoint. C’était une opportunité de voyage que je ne pouvais pas laisser passer, un vrai rêve que j’avais depuis petite.
Mais c’était vraiment la toute première fois que je partais “aussi longtemps” sans ma fille (malgré plusieurs déplacements depuis que je suis maman). Mais, je voyais ce voyage comme une vraie parenthèse pour moi-même car j’en avais tout simplement besoin pour me recentrer, penser à nouveau à moi et revenir au côté de ma famille avec une nouvelle énergie et dynamique. Comme tu dis, partir seule en tant que parent, c’est aussi avoir du soutien et de la compréhension de la part de son conjoint(e). Sans ça, on ne peut partir sereine et ce ne sera pas bénéfique pour qui que ce soit.
Lorsque je suis partie en Afrique pendant ces 2 semaines, une personne de mon entourage m’a carrément dit que j’étais “gonflée” de partir autant de temps mais j’ai su démontrer tout simplement (comme tu viens de le faire avec cet article) que ça ne pouvait être que bénéfique pour chacun…et puis je me suis aussi dit que je n’avais pas aussi besoin d’autant me justifier pour faire ce que j’avais envie de faire, malgré mon statut de maman. Je me suis toujours dit qu’un enfant n’allait pas me freiner dans mes vraies passions…n’est ce pas 🙂 ?!
Du coup, ton article me parle beaucoup car je te comprends tout à fait, et je comprends ta situation.
Après ces 15 jours, la morale de l’histoire est que les retrouvailles ont été intenses et émouvantes…une vraie bouffée d’air d’être partie pour ainsi mieux rentrer chez soi et auprès de sa famille !
Merci encore Marie-Julie pour ce bel article, je vais de suite le partager !
Fraichement devenu papa, je vais bientôt reprendre la route pour mon tour du Japon à pied et j’avoue que lu ton article avec attention. C’est un sujet auquel on ne pense pas avant d’être confronté à la situation et puis quand on y est on ne sait pas vraiment où donner de la tête, du moins dans mon cas.
Ce n’est pas facile et je comprends mieux qu’on ne peut pas juger la décision des autres en rapport à ça.
Sinon, j’ai souvent la même “hantise” que toi quant au fait de savoir que mon bébé pourrait grandir sans moi …
[…] de Marie-Julie du blog Taxibrousse, qui s’interroge se pose la question suivante : faut-il cesser de voyager solo quand on devient parent ? Une problématique intéressante, une équilibre pas simple à trouver pour tout le […]
Non, on va voyager avec des enfants :>>>
Très intéressant article! L’information est très pertinente! Tenez-moi au courant des prochaines publications.
Article fort fort interressant. Je pense que chacun compose sa vie de couple et/ou de famille différemment. Tout cela dépend de bien des paramètres souvent lié à sa propre enfance. Je suis fille parents séparés. J’ai une une enfance très heureuse mais ma mère travaillait et j’ai souffert d’aller à l’étude le soir le mercredi au centre de loisirs et en colo l’été (3 choses que je subissais mais n’appreciais pas forcément). avant d’être mariée et mère je n’avais jamais voyager seule ni même voyager vraiment tout court. Nous avons fait le choix de la famille avant tout nous sommes donc toujours parti tous ensemble. Depuis plusieurs années mon mari avait envie qu’on s’organise une petite Escapades à deux mais l’idée de laisser mes enfants à été un long processus qui n’a abouti que cette année (l’aîné à 15 ans) c’était une chouette expérience que nous avons décidé de réaliser chaque année désormais. Alors voyager en solo ce n’est sûrement pas pour demain et j’avoue pour le moment ne pas en ressentir le besoin mais qui c’est un jour peut être…..😊