Ils se pointent parfois au détour d’une photo sur Instagram, d’un statut Facebook ou d’un tweet. En une fraction de seconde, je suis propulsée dans mes souvenirs. Un arrêt sur image qui me ramène là où j’ai retenu mon souffle de peur que tout s’efface. À cet instant précis où j’ai entrevu le vertige d’une page blanche. Où j’ai vu poindre le rêve d’une autre vie. Senti et ressenti pour la première, la dixième, la millième fois ce frisson qui part de l’échine et va se loger là, au creux du ventre, comme un papillon attrapé dans un filet. Un début d’élan suspendu dans une sorte d’entre-temps chimérique. Quelque part entre réalité et fantasme.
Toutes les fois où j’ai manqué de mots devant un paysage. Où je suis tombée amoureuse d’un coin de pays, d’un homme, d’une vie qui aurait pu exister. Toutes les fois où mon coeur, en plein essorage forcé, a oublié que le cycle «délicat» lui convenait mieux.
Partout, on nous bassine avec l’importance de vivre dans le présent. Mais les instants qui marquent n’appartiennent pas qu’au passé. Boussoles du futur ou refuges du présent; je me fiche bien des temps de verbe quand l’émotion me rappelle que je ne suis, au fond, qu’une courtepointe de ces souvenirs mouvants. Je drape de ces fragments mon âme nue comme d’autres se réchauffent au coin du feu.
Je suis de celles qui perçoivent les toujours comme une addition d’instants furtifs trouvant écho dans la mémoire. On ne revient jamais tout à fait d’un voyage, qu’il nous emmène au bout du monde ou au fond de soi. Alors pourquoi s’obstiner à vouloir constamment tout ranger sous clé? Je n’ai que faire de ces ancres qu’on tente de nous vendre comme d’ultimes symboles de la vraie vie. Que faire de la bullshit psycho-pop et de ses leçons de vie bien formatées, qu’on essaie de nous faire entrer dans le crâne à grands coups de «Oom» et de produits dérivés.
Ces petits pincements, je les chéris comme autant de trésors glanés dans des contrées plus ou moins lointaines. Je ne crois pas aux images figées en deux dimensions. Pour moi, tout passe par le mouvement et les sons: le bruissement des feuilles, le roulis du train, le murmure d’une voix, le frétillement des papilles, l’infatigable ressac, les battements de mon coeur. Tout bouge, tout le temps. En moi et autour de moi.
Un vertige. Une effluve du passé. L’évanescence d’un instant qu’on refuse de voir disparaître. Parce que chaque frisson reste une part de soi. Et que chaque battement compte.
P.S.: Chaque fois que j’écris «toutes les fois», j’ai une pensée pour le délicieux roman de Geneviève Lefebvre, Toutes les fois où je ne suis pas morte. À lire.
9 Commentaires
Belle ode à la vie ! Magnifique, ce texte 😉
“Toutes les fois où mon cœur, en plein essorage forcé, a oublié que le cycle «délicat» lui convenait mieux.” ….comme c’est joliment dit/écrit !
Merci, Marie-Julie, pour ce bel article et ce partage. Belle journée !
Tu aurais pu écrire L’art du voyage. Quelle langue et quelle belle poésie pour exprimer ce vertige ressenti. Ça fait du bien de te lire et je retiens de lire Toutes les fois où je ne suis pas morte. Merci pour cette chronique
Ton commentaire me va droit au coeur… Merci. Sur ce, je retourne écrire un top 10! 😉
« Le top 10 des fois où je me suis foutu du SEO avec amusement et délectation » 😉
Délicieux texte <3
Ces mots <3 un pincement rien qu'en les lisant!
Merci, c’est gentil! 🙂
C’est marrant, mais ces écrits que je n’avais pas lu avant m’aident à faire revivre sans honte mon premier voyage solo. Un mix avec MC Solaar
Remets donc le film à l’envers, magnéto de la vie
Pour elle, faut-il l’admettre, des larmes ont coulé
Hémorragie oculaire, vive notre amitié
Du passé, du présent, je l’espère du futur
Je suis passé pour être présent dans ton futur
Comme quoi je devrais vraiment écrire ce passage fondateur ou destructeur de ma vie…
Bises, merci !